Triomphe du Vernaculaire ?
DÉCOLONISER LE FUTUR. CARNETS DE CONFINEMENT, feuillet #8.
Certaines oeillères devenues trop lourdes à porter peut-être… Ou est-ce l’astralité extraordinairement révélée de l’Etat, qui exhibe les fonction d’efficience de ces dispositions demeurées organiques : Partout la ville officielle, prescrite, “moderne”, des grandes surfaces… cale ! Par contraste celle de la latéralité et du marché africain de plein air propose des qualités de perpétuation de la vie et de résistance à la crise de la contagion !.
C’est une épiphanie.
La vendeuse de bouillie en bas de chez moi se met à questionner !
Son bon sens transperce aisément l’inanité de l’artificiel achevé. L’empetretrement « des Blancs », leurs contradictions s’entendent plus haut que jamais et leurs difficultés à faire face se voient… Alors la pauvreté de la « richesse » a été massivement perçue par les populations d’Afrique
Ainsi quand l’artificialité affichait un niveau de condensation jamais atteint dans le spectacle officiel elle s’effilochait dans la rue africaine. Les populations s’affranchissent comme elles vivent avec une acuité nouvelle le pathétique de tous les réflexes de pouvoir locaux d’aboyer des consignes de réalités occidentales bancales à transposer et la contre-intuitivité de leurs mesures-menaces relativement au concret. Elles comprennent que c’est au concret qu’il faut obéir, non à l’Etat. Les relais de ce dernier demeurent interdits devant cette fronde qu’on pourrait qualifier de la vérité du réel. Les nombreux bastonnés et les quelques assassinats par ci et là de la police de la contagion disent plus d’un dépit de cette survivance de système colonial : l’Etat en Afrique, face à l’auto- mouvement ponctuel politisé de l’histoire.
Les populations n’ont cure.
Aussi Il, l’Etat, pâlit et s’affaisse devant le retour du concret de la vie réelle. Avec la pandémie, le vernaculaire reconquiert la ville.
Le retour du concret de la vie réelle
Mais ce n’est pas une révolution encore. Seulement le temps de s’écouter soi. Se rappeler les anciens. Elles réactualisent, les populations, ce qu’il reste de la mémoire de pratiques de subsistances autonomes et la vraie économie de laquelle est évincée l’abstraction. Tous les territoires du snobismes contraints, les boulevards de l’individualité fermées, la salivation même fait trêve.
La modernité perçue comme la conformation parfaite à un mode de vie occidentale a montré son archaïsme relativement aux contraintes de la cité sous quarantaine. Et “les riches” se retrouvent singulièrement désemparés quand la marge investie dans un mode de vie encore traditionnelle hier dénigrée, aborde la donne nouvelle d’un haussement d’épaule. On retrouve chemin des remedes anciens. Il apparaît désormais clair que c’est la part non colonisée de nous qui est le mieux adaptée aux difficultés de notre temps.
C’est le retour du vrai. La relocalisation rouvre d’anciens territoires et les voies délaissées… L’intuition est réhabilitée : on privilégie les systèmes de redondance et la responsabilité distribuée s’impose comme seul moyen de la survie d’un tout… L’identité collective aiguillonnée, la société civile — la vraie — s’enhardit, les quartiers redécouvrent la solidarité.
Ils ont avancé assurés que le bon sens fait le bon instinct, sans attendre ni vouloir rien entendre des énormes budgets tout de suite fléchés vers les millions de morts indécemment anticipés des “partenaires” et les compétitions d’hypothétiques solutions “innovantes” qui n’iront, ils le savent, repaitre que quelques caciques trop bien exercés à capter la subvention.
Désintriqué de la grande cité mondiale, les modes de vie paraissent étonnamment plus frugaux, plus sains, plus humains. La production et la consommation ont pu ainsi reconnecter formidablement.
C’est triomphe en résilience du vernaculaire.
Outre cela, les mensonges publics de respectables institutions internationales, la filouterie avérée de ses bienfaiteurs, les contradictions d’experts, la manipulation grossière ont engendré un effet de déniaisement que le rôle des intellectuels devrait être de prolonger; pour peu qu’ils veuillent s’adresser à la vendeuse de bouillie et prolonger le mot de Laocoon qu’il ne faut craindre les Grec autant que quand ils font des cadeaux.
Mais l’intéressant n’est pas que les africains redécouvrent que « leurs maîtres “provisoires (?)” mentent » ! C’est que ponctuellement, à la faveur de ce monde moderne qui flanche, ils aient l’air de prendre cruciallement conscience de leurs ressources et que dans la civilisation de l’artifice généralisé, du gadget et de la vitesse, les modes de vie non frénétiques et ancrés à une économie naturelle sont une force. Cette situation conjoncturelle d’une radicalité de la vie fait brèche dans la colonialité. Cela est source d’inversions émancipatrices comme s’inventer désormais des héros non pas de l’élite mais de la proximité. Les populations prendraient elles plus formidablement conscience qu’elles ont toujours été “l’État” et que depuis des indépendances détournées c’est en réalité toujours elles qui a pris soin d’elles mêmes, qu’une révolution, la seule qui vaille, poindrait… que les populations deviendraient un peuple.
Déjà l’élite, la représentation parasite et toute la coterie de gens sachant s’empresse d’obstruer cette fenêtre d’espoir. D’abord par l’insinuation de faux débats : annuler, mitiger ou différer,… une dette qui n’est pas celle de ma vendeuse ! Et ces agents inconscients d’un système qui s’effondre, aucun ne s’adressant à la rue africaine, du fait de leur astralité propre ignorée, conurbent l’espoir et entretiennent la capacité incroyable de ce continent à ruer dans les pièges qu’on lui tend. C’est que parmi leur rangs il se trouve trop de bons techniciens, peu de créatifs.
Au vrai l’africain désormais n’a besoin d’intellectuels que ceux qui lui diront ces quelques vérités : qu’il n’est pas endetté et que cela lui autorise des postures de droit plutôt que le grand combat de pinailler sur la couleur qu’il voudrait à ses chaînes. Que pareillement, il n’y a pas à discuter trop de quelle dénomination il faudrait flanquer une monnaie pour qu’il sente qu’elle lui appartient quand le concept de monnaie même est désuet bientôt et que le vrai enjeu est de s’engager pour que ce qui lui sera substitué n’intègre pas les mêmes verrous sournois d’extorsion de la valeur. Qu’il aura plus tôt fait d’accoucher lui même et d’imposer par le patrimoine de sagesse et la force du nombre qui sont siens cette nouvelle modalité vertueuse de l’échange. Que Google lorgne au nombre… s’approprie, lui dissimule et détourne un moyen final de son gouvernement sur lui même. Que l’effort est aujourd’hui principiellement d’élaborer de nouvelles mythologies (cette politique distribuée) qui articulent idéalement le socio-économique et le biosphérique au sein d’une hybridation technologique en cours qu’il s’agit d’orienter sinon à araser le réel et atteindre la “combustion” totale. Que l’Afrique en soldera le sort, s’envisageant non pas en un territoire non aligné sur le capitalismes libéral à l’américaine et autocratique à la chinoise mais en inventeur d’un modèle propre basé sur ce réel dont il possède les ressources d’un accès privilégié. Que dans l’incapacité structurelle où se trouve l’Occident aujourd’hui de renouveler sa pensée, il est fondé à s’approprier le leadership mondial. Qu’il y a là une responsabilité.
Mais il y a des chantiers nécessaires dans l’ontologie et l’épistémologie sans quoi on ne pourrait faire droit efficacement à tout cela. Cela sera un préalable à enclencher la “grande transition” . On n’y pourra faire l’économie du sujet de la ville.
La ville africaine, celle qui est fille de la colonisation, fermée aux femmes et interdite à l’altérité, a été pensée pourtant contre la vernaculaire. Elle est conceptuellement l’espace de l’expérimentation première de la réification par cumulation de la nécessité d’assujettir et du projet urbain de conformation au système d’une consommation stéréotypée. Ceci d’abord par la neutralisation de la charge de l’espace (cosmoarchitecture). Elle est la nouvelle future frontière du capitalisme digital et sous tension du destin de la réalisation par elle du déterminisme artificialiste. C’est en même temps en elle — dans ses potentiels vernaculaires — qu’il faut aujourd’hui observer l’érosion de l’artificiel achevé. C’est en elle et par elle qu’il faudra demain faire triompher les forces et les vérités du vernaculaire.