Se souvenir du Futur
DÉCOLONISER LE FUTUR. CARNETS DE CONFINEMENT, feuillet #24.
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Jamais le futur ne fut aussi présent ! Il sature le discours savant et profane, fait sous-titre à toute conférence aujourd’hui qui se cherche un air… Les cercles de réflexion qui l’ont en sujet se multiplient. C’est que nous n’allons plus à lui ; le futur s’en vient. Visiteur impromptu, il nous place dans l’instabilité d’un monde à « Mondes » dont il faut donc en permanence refaire les repères. C’est que les technologies à l’ère du digital paraissent irrémédiablement dopées en dynamiteur toujours des carcans de ce que jusqu’au moment précis de leur avènement était l’entendement. C’est que nous expérimentons un emballement des cycles orchestré de surgissements toujours plus soudains ; chacun ayant l’importance de nous faire changer de civilisation.
Un infini s’ouvre au possible que l’imagination la plus osée s’empresse d’occuper : pas la plus audacieuse toujours, pas la plus apaisée, turbulente, non précautionneuse d’être débarrassée de ce qui du présent n’a peut être pas à être charrié au regard des nouvelles potentialités; hâtive en somme. Mais l’archaïsme, le “bourgeois”, c’est tout un, obstruent l’espace de la projetation. Rendant la frontière temporelle d’avec le “Futur” de plus en plus floue (c’est ce qui devrait la rendre la plus nécessaire).
Le concret est lui aussi occupé mais de concepts et d’artefacts dignes de la science fiction ! Comme par un curieux choc retour de tout cet investissement ‘intellectuel’ de l’advenir, notre quotidien se trouve effectivement régulièrement lui même bousculé d’intrusions de concepts qui paraissaient différés, souvent évidents, sous cette forme surprenante de produits anticipatoires que nous adoptons avant même d’en avoir conscience. De l’escarcelle des toujours plus nombreuses entreprises au nom de fruits exotiques (aussi technologiques finalement que de propagande) : des devices couleur fluo fonctionnant à l’énergie électrique jusqu’aux features qui se révèlent en autant de nouveaux super-pouvoirs insoupçonnées à telle application mobile que vous avez innocemment téléchargée.
Tapi dans l’algorithmes comme en quelque forêt obscure, le point où les startups, ces monstres dont le bondissement est bien utile, vous possèdent n’est jamais prévisible. Et entre deux alarmantes conférences TEDX sur les dangers de l’Intelligence Artificielle, on veut concéder volontiers que la mobilité puisse être douce et l’économie verte grâce à l’incroyable puissance de calcul actuelle des ordinateurs et la disponibilité de grands systèmes de données puisqu’on en voit et expérimente déjà des manifestations.
Il faut commencer d’organiser la conscience que l’unique certitude peut être relativement au futur est qu’il s’installe en contravention de tout cela, un nouvel impérialisme. Qu’il a ceci d’inédit qu’il n’est pas seulement un empiètement sur des souverainetés de concepts ayant à avoir avec des territoires quantifiables mais une menace portée sur l’intégrité du réel; qu’il impactera la notion de valeur elle-même et donc le système même d’évaluation de ses effets s’en trouvera corrompu. Que ce dernier donc a à avoir avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication, leur sous-exploitation coupable et leur détournement. Car nous poserons le postulat que les nouvelles technologies par nature épousent le monde. C’est la conscience bourgeoise occidentale qui les en divorce.
Ici il faut rappeler que la toute première innovation jamais initiée par l’humanité était déjà au dessein d’augmenter l’homme ! Il s’agissait d’augmenter l’homme par l’homme. Les structures sociales n’ont pas seulement tous les aspects d’une technologie ; elles ont de tout temps offert le modèle idéal de toute technologie. L’industrie et le marché (c’est tout un) ont évidemment attaqué cela ayant identifié le groupe comme principal frein à leur perpétuation. Convaincus qu’ils devaient avoir affaire strictement à des individus ils ont, industrie et marché, conspiré à mener l’homme à s’affranchir de plus en plus des ressorts du collectif… travaillant à l’organisation d’un horizon de l’extension à tout de la logique marchande où, mémoire de toute médiation organique perdue, le premier réflexe en toute circonstance serait devenu un acte d’achat. La technologie viendrait, aaS , revêtant les atours du social, en bout de course, parfaire un travail de corrosion progressif du bon sens traditionnel déjà bien avancé par la multiplication d’institutions de la médiation et l’éducation occidentale à leur recours excessif qui est aussi une démission large des systèmes de la complexité. (On a pu prendre le prétexte de la difficulté à organiser des groupements humains de plus en plus larges pour justifier ces libertés prises en faveur du technologique sur le fondamental du ressort du commun… Cet argument de l’extraordinaire pouvoir compensateur de la technologie ne vaut plus face à l’extraordinaire puissance effective révélée des IT qui autorise qu’on les voit non pas en pis-aller mais à nouveau en boost réel de structures non perverties et notamment à l’échelle).
Nous savons maintenant qu’on ne peut plus penser la ville sans Afrique. C’est dire qu’on ne peut penser le futur même sans afriques. Ce n’est pas tout encore de ce qui invite l’Afrique au cœur de ce sujet . Quelquechose de plus grand et d’imparfaitement descriptible place le continent en situation de vigie. Parce qu’elle propose paradoxalement à la fois le terrain le plus propice et plus potentiellement challengeant au processus de réification, l’Afrique du doublement de sa population et l’Afrique de la permanence des structures pourrait, indifféremment : accélérer, asseoir définitivement ou corrompre l’impérialisme de la corruption technologique. Elle coulerait l’humanité ou civiliserait le monde. Pour le dernier cas il faut se presser d’installer le piège. Car la course au continent, chez les géants de la Silicon Valley, est déjà lancée.
Les grands freins sont mentaux. Lorsque le décideur africain exhibe une foi inébranlable dans la Smart City et que tous s’y convertissent quand bien même ce concept afficherait un indécent déficit d’Afrique, c’est qu’on à atteint la conviction que la technologie, le boom digital qui est censée travailler les entrailles de et rendre possible cette dernière, n’y a aucune commune mesure. Et donc on aura admis que cette nouvelle typologie urbaine fût un pas plus avant dans l’éloignement de nous mêmes.
Or, il y a nous le professons, potentiel nouveau de conciliation, dans la computation, du calcul et de la négativité. C’est même, ce chemin d’ “hybridation”, la courbe que prend de lui même la dynamique technique. Par là, la possibilité d’un horizon divergeant de l’urbain en auto-mouvement du capital.
Il s’agit d’explorer cette possibilité et forger les armes du rebours de ce renoncement “élitiste” en soulignant telle proximité entre l’”Éthique Hacker” et les valeurs de la société de tradition africaine, entre la complexité structurelle technologique et tribale, en exhumant les exemples de la rigueur dans la déclinaison de ces principes, en rappeler l’origine de l’informatique. Prôner pour cela le rapprochement entre les technologies numériques et les recherches sur les les savoirs vernaculaires africains. Y puiser ce qui comme le Système du Monde peut nourrir des façons alternatives et rigoureusement modernes de faire ville par exemple.
Tout ce qui peut porter à réaliser l’intuition que le temps particulier que nous vivons fait au continent le cadeau inattendu des moyens d’une révolution « neovernaculaire ». Et acter cette opportunité, radicalement, méthodiquement en autant d’”Utopies non alignées”… mais toujours en ayant garde de ne verser jamais dans la posture incantatoire
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En effet emportés que nous sommes par le torrent d’innovations nous sommes surpris de reconnaître au cœur de leur rythme, de plus en plus d’aspects du modeste, du commun, des fois quelquechose même de l’ancien. Tout cela esquisse un curieux effet trou de ver qu’en un sens le futur nous semble vouloir se conjuguer au passé. Ainsi quelque bouleversant qu’est cette épopée de la technique très avancée, nous pouvons y faire régulièrement l’expérience apaisante de Nietzsche chaque fois que nous sommes en mesure d’identifier cette caractéristique “Primale” du rythme emballé qu’amorce le progrès. Caractéristique qui transparaît dans la désormais digérée IA et mais qui ponctuellement illumine aussi les deux prochaines cataractes technologiques à passer que sont blockchains et les quantas. Mais en vrai c’est plus directement à la Nature que s’en retourne la technologie. IA, blockchain et qantas ne sont qu’une étincelle d’un brasier du “Primal” en potentiel.
Le technique nourri de sciences fondamentales est d’origine vitale. Pas seulement parce qu’elle est matérielle et donc biologique malgré tout mais dans son essence même. Si nous avons fini par oublier cela c’est à cause de son management cédé au capitalisme. Ce dernier y a imprimé sa marque par cette approche de l’innovation entachée d’une double corruption : “ installer un pouvoir “ — “gagner de l’argent “ ! Notamment en reprenant depuis peu le chemin fondamental de la science, la technologie à l’ère digitale revient à la vie. Ce retour du technique aux principes universaux ou ce retour de l’Univers dans la technique doit s’analyser par la question de la complexité structurelle (notamment cosmique biologique et sociale) dont donc la nature micro et macroscopique d’abord mais aussi le groupe traditionnel sont une modélisation.
Or donc il s’agit de saisir que nous tendrions “naturellement”, et dans les conditions donc de liberté de la technologie, de plus en plus à une informatique organique et à un ordinateur de carbone. La technologie la plus évoluée possible, l’indépassable du progrès technologique est quand l’ordinateur sera le monde. Mais la nature ne traite pas les informations en 0 et 1! Il faut accompagner cette tension naturelle d’un ébrouement de la binarité cartésienne. Décoloniser le futur c’est s’autoriser à réactiver la mémoire du futur et se trouver apaisé de cette inéluctabilité contre toutes les excitations, le brouhaha, la frivolité et les pare feu à cette vie-ralitté dont l’esprit occidental se peut pourvoyeur.
Donc décoloniser le futur c’est, dépassant le simple projet de le défaire de l’emprise qu’a l’occident dessus, lutter contre les tentatives de contraintes de l’élan propre, du rythme interne actuel, de la trajectoire naturelle du technique; contraintes qui prennent toutes naissance à l’immodestie et à la médiocrité occidentale. Il faut appeler médiocrité occidentale, l’archaïsme relatif de ses concepts dans leur rapport dialogique à la situation et aux enjeux de la contemporanéité et son incapacité à exploser pour le renouveler, le cadre conceptuel : Cet échec qu’il ne peut plus dissimuler, échec dans sa capacité à contextualiser la vérité.
C’est participer enfin en pleine conscience de complexité, de la cohérence et de la complétude Monde. C’est à dire au final d’être en fractal écho à la conscience du tout qui depuis l’industrialisation a été progressivement évacué du technique. (Il ne faudra pas faire l’économie de défendre cette thèse d’une technoscience automotrice et de l’émergence d’une volonté et d’un rythme propre au technique qui vient de son infusion par la conscience universelle.)
il s’agit donc de gager qu’il y a une opportunité à tanguer de la sorte aujourd’hui. Si au Monde la technologie va toute seule alors pourquoi traiter l’inéluctabilité en possibilité ?
Si nous n’en renouvelons pas la manœuvre, l’innovation classique d’essence occidentale corrompra cette courbe que prend la technologie de refusionner avec l’Univers. Le sens du positivisme libéral est d’amputer toute chose de la vie et de sa complexité pour esquisser une façon de prêt-à-consommer d’écheveau de couches d’abstractions pour une confusion souvent entretenue pour ses qualités de mystification. Le marché et la démocratie représentative libérale forment le socle de ce paradigme.
Une des questions transversale à notre projet est ainsi de jauger s’il se peut imaginer un modèle d’innovation qui distribue le pouvoir et qui ignore la plusvalue. En quoi cette posture collaborerait d’un retour-vie et pourquoi idéalement elle infuserait de la structure universelle.
Nous poserons pour entendu que cette fronde n’est possible en occident même. On prendra le temps d’aborder dans le détail en quoi notamment par la critique artiste ou encore ce que nommerons “l’empire du frivole” le centre de névrose occidental se trouve irrémédiablement miné quand la Chine elle, trop avancée dans son libéralisme autrement plus débridé propre, n’offre que face pour acter d’un moment de capitalisme globalement Janus.
L’Afrique encore, n’a pas elle marché dans l’industrie. Ce retard relatif dans la phase qui prépare le capitalisme du digital la dispose à bifurquer un futur sous menace de colonisation. Le peu de besoin de légitimation, l’informalité générale de ses systèmes pour réinterpréter voire buissonner la modernité, pour questionner l’autorité de l’Économie crée un espace créativité nécessaire à ce projet et de possibilité de riposte s’il elle accédait à sa conscience. Mais c’est la permanence radicale de structures d’organicité greffées à une conception Monde du monde, c’est ce Système du monde ruisselant sur la contemporanéité qui finit d’indiquer l’Afrique comme stratégiquement le dispositif d’une possible bascule.
Nous montrerons donc que cette révolution soit codée en ses systèmes de pensée et de représentation symboliques et politiques. On abordera essentiellement la question de la modélisation et tout ce qui conspire à ce que l’Afrique soit devenu le meilleur endroit où regarder. Il faudrait aller à la rencontre de cette éthique fondamentale verrouillée dans les valeurs et dispositifs africains en faire l’archéologie et enfin en produire l’actualité.
Aussi gavé au dégoût du grand mensonge occidental devrions nous nous sentir libérés, autorisés à explorer des archives autres. Exploser l’eurocentralité des concepts pour renouveler le paradigme de l’innovation. C’est un nouveau projet civilisationnel qu’il s’agit de définir pour demain en assumant qu’il passera peut être par un abandon de la “civilisation”.
En somme, s’il s’invite, c’est par bourrasques qu’il nous arrive le futur, en flux furieux nous passant par vagues… Semblant pressé comme si une inéluctabilité était proche. Comme si le temps voulait se dépêcher de se réaliser parce qu’il se serait rendu compte d’être épuisé. Il lui faut livrer en urgence ce qui lui demeure de réserve, qu’il s’en débarrasse. Littéralement il semblerait que le temps n’a plus le temps. Est ce donc des stress naturels contemporains qui forcent cette évolution? le tout est que cela semble l’approche d’une fin !
Pourquoi donc le temps s’accélère? Il y a deux possibilités :
1. Nous sommes en train de passer un cap pour tomber dans quelquechose de stable. Et ces bouleversements que nous vivons s’expliqueraient par le travail particulier d’une situation de transition. Cette assertion se défend quand le cadre d’un saisissement dézoomé du temps qui tire leçon de fait de transitions (révolutions épistémiques ) qui eurent déjà lieu et qui le prendrait, donc le temps, comme linéaire.
2. Nous serions à la fin des Temps.
On choisira une troisième option, pour permettre ici d’appréhender le futur. Cette approche combine les deux paradigmes : Le temps va finir mais pour reprendre ! pas de continuité donc ! Le temps va faire un reset en quelque sorte. Cette approche boucle est le modèle construit pour soutenir le volet prospectif de la pensée amenée ici.
Ce qui indique cette option est que le “chaos” originel primaire réapparaît en toile de fond déjà de cette que nous discutons. Ainsi le Temps s’épuise pour envisager un retour à l’originel qu’il envisage heureux, qui est la résolution de tout problème. (En postulat de base de tout cela, il y a à poser que l’Univers puisse être conscient). Donc parce que le bouleversement est traversé d’éléments du début, on peut considérer qu’il annonce un recommencement.
Dans cette perspective, quand on parle de décoloniser le futur, il ne s’agit pas d’un Futur lointain car le futur lointain aura soin de lui même, dans une temporalité renouvelée. Nous ambitionnons donc pas l’amplitude prospective de notre réflexion à l’échelle du cosmique. Ce très peu de profondeur — tortueux- qui reste donc semble miné. C’est donc quelquechose de potentiellement ponctuel que nous cherchons à penser : la plus grande et la plus courte des colonialités. Il s’agit de déminer ce futur proche, ce moment de transition à l’échelle de trois ou quatre générations encore au plus dans lequel nous sommes déjà rentrés. Notre “Décoloniser” est de fait rigoureusement une eschatologie.
Dans la raison computationnelle en construction, l’inextricabilité du projeté et du concret et leur dialectique esquissent un futur colonisé et colon. Une “occupation” inédite du réel qui est le point le plus avancé jamais atteint de l’éloignement de la réalité Monde. Cette contrainte de la liberté dont procède le réel par un amoindrissement est la vraie définition à donner au mot réification. La colonie numérique ce n’est pas seulement chacun de nous forcé d’offrir pour gratuit son attention et territoire singulier d’extraction en flux continu de nouvelles matérialités pour nourrir le système du marché désormais établi logique et logiciel du monde.
Or le monde est émancipation… Il infuse cela des technosciences mêmes qui ne s’en éloignent que par promotion d’une politique du technolibéral dite “innovation”. Pour atteindre la liberté à travers la contrainte de tanguer alors, embrasser en conscience et trouver le rythme d’épouser un déchaînement dont le fondement serait “naturel”.