Quel et quel je suis… l’intuition et la réponse vernaculaires.
Architecte, urbaniste, anthropologue, militant, entrepreneur… Quel et quel je suis?
C’est drôle, la question me fait penser que j’ai peut-être quand même sans m’en rendre compte concrétisé mon admiration de l’individu total : à la fois planificateur, esthète, homme de science et d’action.
Mais dans le fond ?
Un petit enfant qui a très vite eu l’intuition d’une petite valeur : le vernaculaire. Certainement parce que frustré de grandir dans une Afrique peu africaine, folklorisée et qui ne semblait pas vouloir tirer tout le potentiel de la permanente extrême modernité de ses concepts. J’ai du très innocemment me croire la capacité d’y changer quelque chose et me suis inconsciemment programmé pour… Ce genre d’état vous prédispose à errer. J’ai effectivement, tournant en rond pendant mes années étudiantes à Paris, trainé dans des cours de design industriel (Creapole -ESDI), architecture (ENSA Paris La Villette), histoire de l’art (Ecole du Louvre) et anthropologie (EHESS). Je n’ai cependant rien fait sérieusement et l’estampille d’aucune académie. (J’ai fait de cette errance un recueil : ‘Girations’, 600 pages, refusé partout). J’ai beaucoup quitté l’école pour compléter avec du terrain notamment dans la construction humanitaire ; ce qui m’a permis de découvrir que ce n’est pas ce que je voulais faire. J’ai alors monté une plateforme de recherche collaborative L’Africaine d’architecture pour faire cadre à une approche plus radicale et moderne des questions de l’architecture.
En 2012, ma quête a pris un autre sens avec l’expérience du digital et l’opération d’une jonction entre l’Ethique Hacker et les fondamentaux de la société traditionnelle organique pour imaginer un neo-vernaculaire au service de la transition de la ville africaine. Cette vision que nous avons appelé HubCité veut bâtir la ville de demain sur la trame d’un smart-grid de lieux d’innovations dont chacun a vocation à transformer son environnement en lançant des startups empreintes de l’éthique des Communs. La tentative de concrétiser cette utopie urbaine sur Lomé à conduit à l’installation de 1300 m2 dédiés à l’innovation ouverte dont la réalisation la plus célèbre est la “first Made in Africa “ imprimante 3D en déchets informatiques recyclés. Je répartis mon temps entre l’administration de cette expérimentation d’un vernaculaire numérique et mon engagement dans le développement d’une architecture située.
Nous avons réalisé la première itération et il faut dire WoeLab(S) désormais : ‘Zéro’ et ‘Prime’, les premiers Espaces de Démocratie Technologique du réseau HubCité projeté sur Lomé ! Deux lieux qui dans la ville cherchent à recréer les conditions de ce qu’on appelle l’enclos d’initiation en contexte « villageois ». L’enclos a un rôle structurant dans l’organisation sociale traditionnelle africaine. Ce moment de « réclusion » permet de créer le lien sur un groupe, de transmettre la connaissance aux novices et les orienter sur le chemin de la réalisation de leur potentiel. Au sortir de là, vous avez fait sur une classe d’âge, une symbiose, qui peut être mise au service du développement en cohérence du village. Les rites agraires, funéraires, etc… ne viennent que réaffirmer ce lien. Les barcamp, hackathon et les nombreux évènements tech qui rythment la vie du Lab sont abordés chez nous exactement comme des moments de rituels avec la même fonction d’insister sur le collectif.
Ce sont donc WoeLab(s) des sortes de maison de quartier 2.0 dont les pensionnaires sont astreins au partage, se trouvent immergés et initiés en accéléré, avec des ressources en source ouverte, aux enjeux et potentiels du boom technologique (IoT, Data, IA, blockchain, etc.). Ils sont dans cette promiscuité stimulés pour développer des projets dont les plus intéressants deviennent des startups dans le but de scaler et impacter le plus, le plus rapidement en adressant les problématiques urbaines : gestion des déchets, disponibilités des ressources, mobilité etc.
La vraie leçon du boom digital c’est l’Humanisme du Réseau et cette possibilité aujourd’hui de faire contribuer tout le monde, y compris la marge et ceux en Afrique dont l’extrême ingéniosité est niée parce reléguée au secteur informel (opposé à celui dit moderne, lui même trop élitiste et drivé par des réflexes archaïques rétifs à la disruption).
WoeLab, un peu fablab, un peu incubateur, au delà d’incarner l’industrie de proximité rêvée par Thomas Sankara : qui produit à la mesure et à l’échelle, permet grâce à son éthique d’ouverture, donc de recycler et sublimer cette ingéniosité diffuse dans les masses africaines. La bonne option à prendre sur ce pari que la Smart Cité africaine devrait être vernaculaire.