Pensée moderne, unanimisme : une histoire de la force

Sénamé Koffi A.
3 min readMar 11, 2021

DÉCOLONISER LE FUTUR. CARNETS DE CONFINEMENT, feuillet #4

Si la pensée dite moderne, y compris dans ses nuances et même quand elle servit à la combattre, fut globalement alibi du fait colonial, on peut se demander si la colonie en retour ne l’a renforcé de quelle manière; comme elle posa les fondations de l’ordre actuel du monde …

Mais avant que de se trouver global le paradigme européen a contaminé et soumis en Europe d’abord les spécificités européennes mêmes par la violence qu’on nomme : l’État.

Les bras armés furent ses institutions développées et mises en ordre pour remplacer des prérogatives des structures sociales qui se virent arracher leur pouvoir de médiation et commencèrent à pericliter. Anciennement ainsi, la résolution d’une crise -non déléguée à une abstraction mais par quelque dispositif du collectif- renforçait toujours le groupe et prévenait de fait le surgissement de nouvelles… Chaque perturbation générait de la cohérence en fractale. Et retrouver trace du commun déclenchait une cascade de commandement à la souvenance. Ces aller- retour du lien à la mémoire tissaient plus serré le groupe en l’effort de mise en oralité des contrats anciens et nouveaux.

Avec, la logique réglée, imparable et froide des institutions modernes contre la responsabilité globale participant des cosmo-conception des choses; c’est une nouvelle mise à distance du potentiel d’organicité qui a la conséquence évidente de frapper de caducité ou déliter le lien au sein de projets de groupes plus vastes soumis à l’autorité de l’”Un”.

Le système éducatif n’est pas le moindre de ces institutions : relai de force de l’esprit remouleur et agent de l’unanimisme; son autorité exclusive dont les moyens coercitifs, on l’oublie, furent d’abord affinés sur des blancs : les particularismes de sa périphérie interne et tous ces “peuples maudits d’Europe”. Ainsi le tristement célèbre “signal” de nos cours de récréation, pour la mise à mort de nos langues utilisé aussi contre les différents patois et les idiomes européens. Dans chaque gorge la raison d’etat et le projet civilisationnel étouffent le grognement, dans chaque regard dissolvent la nuit du monde. Des territoires de nature et du groupe, il s’est agit d’extirper le superstitieux du rapport à l’univers cristallisé dans les mythes, leur architecture symbolique, par la contrariété d’abord de la langue qui en est le mode d’expression. La domination qui pose la provincialisation comme principe ne reconnaît pas plus de qualité d’apport et de mécanisme à la plèbe qu’à la poésie de nature.

Avec l’éducation descendue en lui par le biais des langues uniques occidentales imposées, c’est aussi la loi (l’obéissance) et la pensée (la foi). Le citoyen, le civilisé est rendu une abstraction en son lieu même, par -tout le jour à l’école- la répétition pédagogique substituée à la parole populaire, aux contes, chants des femmes : espaces de résistance qui eux ne sont plus réduits qu’à quelques occasions seulement, pour les enfants le soir… jusqu’à ce que disparaisse la dernière grand mère qui arrivait encore à retrouver trace des mythes et réencodait le réel dans des cerveaux désormais scindés.

Alors tout à fait devenu le réceptacle de la vision utilitariste du monde, chacun peut participer du projet d’abstraction généralisé : le grand triage froid des ressources du vivant et d’être en vie pour l’épanouissement de la marchandise. L’introduction de la désirabilité finit de nous condamner au relais de l’érosion des conditions du réel !

Pour ébranler tout le lié dans nos sociétés : culture matérielle symbolique et architectures conceptuelles, les actes sociaux corrélés aux cycles écologiques, la mise en discours de tragédies fondatrices cryptant l’ordre idéal ; il suffit ainsi du renversement de quelque mitan en leur centre. Comme on le dépossède de sa production symbolique, c’est aussi son système qu’on arrache autant que l’évanouissement du système fait tarir la sève créative… Un paradigme de l’univers sans organicité imposé à tout le genre humain, rompt partout les perceptions cycliques du temps pour faire vide à la logique du progrès… On a mis à distance, dénigré, présenté comme dangereux : le communautaire, le populaire, l’ancré. Or inoculant à toute sa périphérie le glas de cosmo-visions, l’Europe a mis en germes de la potentialité d’éruptions soudaines de bouleversements globaux tout à fait imprévisibles. La crise de la contagion donne le signal que nous voici précipités dans un monde dont le sort dépendra de ce que les femmes chantent à nouveau.

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