Naturalisme : 1ère rupture disorganique

Sénamé Koffi A.
7 min readMar 9, 2021

DÉCOLONISER LE FUTUR. CARNETS DE CONFINEMENT, feuillet #5.

L’approche de l’installation humaine est dans la conscience occidentale entièrement aux mathématiques, depuis Descartes qui instaura la conception que l’homme est esclave de la nature dont il se doit sauver en s’en rendant « maître et possesseur ».

La cycle de « rationalité » et de science à engager que cela suppose est doublé chez Buffon d’un impératif d’éducation des sens qui participe du prendre conscience de soi. Le “primitif” dans ce cas, en est dépourvu. Il existe « en confusion ! » c’est-à-dire indistinct de la totalité.

L’occident en ses conceptions cartésiennes positivistes et foncièrement utilitariste élimine au XVIIe siècle, le sujet des sociétés traditionnelles, réduisant donc par un mouvement de pure objectivation, l’homme en sa périphérie en un simple écho de son environnement sauvage,

C’est par un processus d’individualisation au sens d’abord de se scinder du naturel que le primitif adviendra, se réalisant homme. Voici le premier panthéisme à briser par lui pour s’extraire d’abord matériellement. Là, le premier “humanisme”, celui de l’opposition principielle problématique Nature/ Culture.

La ville et la colonie

L’aliénation dans le biosphérique est témoignée chez le primitif (Ariel et Caliban) d’abord en son paraître où on cherchera évidemment en vain trace de sublime. Il y a consensus conceptuel dans la pensée moderne bourgeonnante. La conaturalité perçue comme une entrave matérielle est une assignation au sauvage qu’on considéra l’homme “de nature” : “loup” comme Thomas Hobbes ou “bon” à la manière de Jean jacques Rousseau. Quelquefois frappé par là (le naturel) de quelque inexplicable sentence de malédiction : « On ne saurait fixer un instant ses regards sur le sauvage sans lire l’anathème écrit, je ne dis pas seulement dans son âme, mais jusque dans la forme extérieure de son corps. C’est un enfant difforme, robuste… Une main redoutable appesantie sur ces races dévouées efface en elle les deux caractères distinctifs de notre grandeur, la prévoyance et la perfectibilité. »

Le stigmate en est l’absence de dématérialité. Le sort du sauvage appelle la loi et le raffinement. Ce sont là préjugés et logiques d’aliénations à un état dit de nature, qu’il n’y eut guère que le visionnaire et la radicalité d’un Rousseau (voué aux gémonies pour cela) pour challenger quelque peu :

« Tandis que le Gouvernement et les lois pourvoient à la sûreté et au bien-être des hommes assemblés ; les Sciences, les Lettres et les Arts, moins despotiques et plus puissants peut-être, étendent des guirlandes de fleurs sur les chaînes de fer dont ils sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté originelle pour laquelle ils sembloient être nés, leur font aimer leur esclavage et en forment ce qu’on appelle des peuples policés »

“Polis”, la cité est ainsi le lieu du renoncement. Renoncement nous l’avons vu à la liberté pour la coupe de l’Etat et sa violence légitime de vous tenir en politesse, mais foncièrement surtout renoncement à toute idée de sauvage : toutes notions d’originalité ou d’origines dont la biosphère est. C’est, la ville: territoire d’exception.., hors le réel, d’une réalité d’artifice : sans emprise de nature. (Les exceptionnalités actuelles, celles qu’on nomme les “Big tech” sont, pour notre temps, en train de révéler le vrai potentiel de perversion de ce contrat urbain, en “programmant” le ville plutôt comme le lieu d’un asservissement final.)

Il y a ainsi en l’idéal culturel en ce qu’il participe de la maîtrise du naturel, origine commune de l’idée de ville et de l’impérialisme européen; la ville comme la colonie apparaissent une réponse à l’oppression de la nature sur l’homme !

La peinture de sociétés prises au piège de leur environnement, sans grâces et connaissances est la toile de fond du projet civilisationnel qu’il faut avouer que la récente anthropologie décoloniale n’a pas réellement réussi à corriger dans l’esprit des occidentaux. Mais il n’y pas, avec moi, quelqu’un de plus préoccupé de réveiller la conscience de l’occident et de moins intéressé aux moyens tentés jusqu’ici d’y arriver s’adressant directement à lui.

L’homme moderne prend conscience de lui-même en culture : un édifice d’abstractions logiques contre le vrai confort mais fausse vérité des structures naturelles et de tout ce qui s’en extrait directement en tant que lois.

Or le sauvage est presque toujours un indécrottable rétif; maladivement attaché à quelque embarrassant empirisme qu’il faut à l’école déconstruire. La colonie ainsi que la ville sont le lieu où on vainc « sans avoir raison » sur des conceptions posées à priori comme superstitieuses et des savoirs invalidés quoi que opérants, pour la raison qu’ils ne peuvent être défendus par le cogito.

Mais il faut dire que René Descartes est frère de Francis Bacon autrement chantre de l’impératif de ployer la nature et de Galilée à qui il faut concéder la primeur dans le saccage des évidences rassurantes.

La destruction entamée par Galilée de la sorte de pis-aller de cosmogonie, le système scolastique occidental du monde (la façon leur d’équilibre de l’univers ouvragé par les grecs, actualisée par l’église dans la stabilité, qui avait fonctionné pendant 2000 ans) inaugura le chantier d’un équilibrisme au service exclusif de l’homme (mâle et de pouvoir ; les choses ne le dépassant que pour lui fournir trône, en leur centre), une totalité cosmique instrumentalisée donc, confortable, à mesure humaine.

Cosmogonies de nature, de religion, de science…

Le procès de Galilée fut le vrai signal du commencement de la science fondé sur l’ambition de renverser le statut hérétique pour s’imposer en lieu et place de conceptions établies pour un confort spirituel. Mais cet esprit vite ratura le séjour des hommes instituant petit à petit un désert de significations où l’humain va se perdre de vue… L’univers dissocié rendu tout à fait abstrait par une armature de concepts de plus en plus précis fut une dévastation périphérique des subtilités d’entrée en relation féconde avec le monde ouvragées sur plusieurs millénaires par groupés condamnés tous à basculer dans cette nouvelle idolâtrie de la pensée scientiste.

À partir de cette date de 1633, commence déjà l’âge des Lumières c’est-à-dire la rationalisation du monde et son corollaire d’assèchement des significations humaines du monde humain. Newton, plus en grace, reprend et systématise l’entreprise galiléenne. Les certitudes des métaphysiciens font tache d’huile et les positivismes vont proliférer. L’homme newtonien, armée de raison et d’outils nouveaux, embrasse le projet de la mesurabilité du monde, c’est-à dire de sa possession; Un rapport aux choses qui engendre la technique permettant à l’homme de produire le monde à son gré et d’agir avec une puissance qui ne cesse de s’accroître sur le monde. De plus en plus de moyens et d’outils, la faveur des pouvoirs et de l’intérêt récemment convaincu, boostent en retour l’ambition de cette épopée conceptuellement anti naturelle.

De là va naître la philosophie industrialiste des XVIIIe et XIXe et l’utilitarisme. Les “utilités” du monde et donc les envies de plus en plus immédiates de l’individu doivent devenir la loi du monde. Le sujet extérieur au monde, refusant d’être mis en face de lui, de le subir sous quelque forme que ce soit entreprend de s’en fabriquer petit à petit un propre qui lui serait supportable. Ces droits de l’homme qui s’imposent à ce moment priment sur le monde naturel contre lequel il a remporté son tout premier combat.

La raison de sa prétention légitime de renverser le confort mental de l’homme positionné en noyau de l’univers, n’a réussi que le boulonnage de l’individu (occidental s’entend) en tant que tout en toute circonstance, plus profond en son trône d’arrogance. La science oublieuse qu’elle procédait d’observation et d’éléments du réel s’est inventé un rythme qui le fit glisser doucement à cette entreprise d’artificialisation générale. L’histoire (c’est dire le politique) et la science (entendu comme synthèse de modèles) remplacent dans une prochaine étape le sacré. La croisée étant l’intérêt. C’est en réalité en effet ce dernier modélisé en marché qui subjugue. Aussi dans la même veine de glissements on peut poser que tous les coups portés à ce qui était anciennement du sacré, aux fins de transiter d’une société du salut à celle du bonheur, ont en fait précipité la société de l’argent.

Cette révolution romantique épisodique de l’idée de transformer le monde, c’est toujours trouvée digérée par la bourgeoisie. Pas dévoyée en réalité car la pensée occidentale fut fondamentalement bourgeoise. Elle le sera sans fards avec l’ère entièrement gagnée à la célébration de l’introversion, de l’exploration du monde par l’intérieur, de la construction de l’homme intérieur… qui sert à négocier le virage “individuel”.

Car cette crise dans la “connivence’’ n’est pas dernière. L’idéal d’échappement hors la matière gangue fait fatalement “Lumières” ! Le XVIIIe siècle au projet de combattre toute forme d’obscurantisme va s’évertuer à ciseler plus avant l’humain pour le distinguer. Aussi pour atteindre l’idéal proposé de l’Esprit pur : la conscience quand elle a émergée de la nature, pour s’en scinder, ne saurait aller qu’en s’affinant. Il paraîtra vite aux philosophes que pour l’homme, se trouver le mieux ébroué du naturel n’est pas d’avoir mis le vivant non humain à distance mais d’être seul.

Il y a en effet autant de danger d’annihiliment dans la biosphère que dans le groupe : Un deuxième humanisme plus restreint, tout au raffinement, implicitement non ouvert à priori à la part non blanche de l’humanité. Le grand malentendu de l’« Universalisme » d’ailleurs, dont la conséquence se trouve des soubresauts que nous vivons jusqu’à aujourd’hui, est que quand on le pensait dans le confort des salons feutrés européens on ignorait qu’un jour les non- blancs de tous les coins de la terre, par millions se proposeraient, au prix de d’incroyables renoncements à eux mêmes, à trouver abri sous ce parapluie “humanisme”. Des millions d’ anciens “naturels” contaminés de la frénésie culturelle occidentale, qui n’ont pas compris que les humanismes successifs contre la nature et celui contre le commun que nous verrons maintenant, sont foncièrement conceptualisés sur leur exploitation.

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