Un horizon de massification

Sénamé Koffi A.
7 min readMar 25, 2020

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DÉCOLONISER LE FUTUR. CARNETS DE CONFINEMENT, feuillet #23. (extrait)

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Ainsi, paradoxalement, l’incroyable dynamisme des flux, le tourbillon d’innovations, l’accélération en somme des paysages fabuleux que nous propose l’âge digital à la traversée contiennent le germe d’un rétrécissement. Menace à laquelle la jeunesse d’abord serait exposée. Cette réduction des potentialités du réel, dans les circonstances d’une irréalité excessivement dopée est une façon de fatalité; carrefour de tous les raccourcis conceptuels futurs et à la source de ce qui procédera demain du médiocre par l’énergie muette.

Or donc la modernité cybertechnique coupe de plus en plus du bon sens d’un contact du pied nu sur la terre. Les installations procèdent pareillement par abêtissement à mesure de leur sophistication. Aussi, plus la ville est grande, plus elle est « moderne » moins la jeunesse y paraît épanouie intellectuellement : on semble s’y trouver singulièrement poreux à tout delirium, toute mystification. C’est l’effet masse.

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D’un horizon de massification !

Il ne s’agit pas à proprement parler d’une pathologie urbaine mais une manifestation de l’urbanité en tant qu’elle peut s’avérer une pathologie.

Au cœur des temps non généalogiques, ces effets de la désorientation : le risque de sidération par le technique rendu fou et le cheminement désormais sans repère ni guide pour transiter les “Mondes” fantastiques nouveaux qu’il induit, inexorablement, pourraient effectivement aboutir, dans la circonstance d’une jeunesse multitudinaire, à un immobilisme de concept.

Ce danger de la promiscuité est ce qui contraindrait l’expérience d’un emportement heureux par le cours des choses travers l’enchaînement de révolutions technologiques, pour une situation où il n’y aurait pas assez de dégagement à nous éviter de prendre de plein fouet les mutations devenues dans cette configuration récifs !

Extraordinairement vide, travaillé de rien, porté par les délires collectifs, la jeunesse qui bientôt croira tout puisque déjà elle ne sait plus croire en rien, la jeunesse africaine dans les grandes villes, est ainsi promise à la situation de la fixité. Ce confinement dans le nombre est un ferment du nivellement de tout dont la composante éthique n’est pas négligeable. Et le blocage, l’inertie intellectuelle, la crise de la volonté participeraient pour beaucoup de ce danger perçu par beaucoup d’une jeunesse “bombe à retardement”.

Aussi la société numérique réaliserait-elle une production inédite d’aliénation.

N’étant plus comptable des structures pour être inscrit dans une comptabilité, échappée aux autorités anciennes frappées de caducité par l’autorité nouvelle unique du smartphone — aussi, seul parent désormais, ainsi que nous le verrons, qui vous guide — le problème de la jeunesse est au cœur du sujet de l’urgence de la production d’identités individuelles et collectives nouvelles.

Cela nous évoque une théorie de l’individu rétif à toute institution d’autorité : « l’homme –masse » de José Ortega y Gasset. Il s’agit pour le philosophe espagnol de la menace d’émergence paradoxale d’une génération entière d’incultes dans les conditions d’un “progrès” excessif et d’une extrême disponibilité du savoir (qui annihilerait les acquis pour ainsi dire automatiques de l’effort et la dynamique de l’atteindre).

« Selon l’auteur, ils jouissent de tous les apports de la science et de la technique, mais ils en jouissent en « primitifs », c’est-à-dire sans en connaître les principes. Selon cette logique, comme cela comble tous leurs besoins, ils ne ressentent nullement la nécessité d’apprendre, de connaître, de comprendre, de se cultiver. Ortega les qualifie de brutes amorales aux idées grossières qui jouissent du nec plus ultra que leur procure une civilisation perfectionnée dont ils n’ont aucune conscience historique. »

Reprenant Ortega à notre compte, osons esquisser un possible horizon de jeunesse- masse au revers de la démission large des « élites » africaines et dont la dégradation du bon sens social par l’esprit computationnel mal intégrée au démographique serait une des forces ouvrières.

« Cet homme-masse, c’est l’homme vidé au préalable de sa propre histoire, sans entrailles de passé, et qui, par cela même, est docile à toutes les disciplines “internationales”. Plutôt qu’un homme, c’est une carapace d’homme faite de simples idola fori. Il lui manque un “dedans”, une intimité inexorablement, inaliénablement sienne, un moi irrévocable. Il est donc toujours en disponibilité pour feindre qu’il est ceci ou cela. Il n’a que des appétits ; il ne se suppose que des droits ; il ne se croit pas d’obligations. »

Ici, il faut la lucidité de voir qu’au vrai, un tel processus de la massification est relativement avancé sur le terreau de la grande ville africaine. Et que dans ces projetations où le repère de l’organisation traditionnelle est de plus en plus instable, pris dan sl tourbillon technique; la sagacité des logiques d’organicité propres qui font la résilience urbaine partout s’étiolent… Et s’il y a des cas où, par colonisation en retour, la ville civilisatrice à été trop formidablement traditionnalisée pour qu’elle casse complètement, dans maints contextes la composante jeune des villes perd réellement racine désormais à quoi que ce soit. Elle se retrouve suspendue, ne tenant que par le smartphone. Elle s’y accroche, fixée désormais par ce seul point de repère qui n’est pas le lieu de l’incitation au mouvement mais le plus souvent un foyer personnel de culture de se satisfaire de l’inertie. Tels les phénomènes des GayMan,brouteurs; coupé- décalé et de toute cette mode positivée de l’arnaque s’exprimant essentiellement par le cybercriminalité, terreau aussi simultanément de la variété musicale débraillée, du mystico-superstitieux, de la cacophonie de l’information remixée sans être comprise, des clashs etc. Tout par le moyen du réseau social devenu université de l’inculture. Cette tendance loin d’être une marginalité a en vrai déjà éduquée une jeune génération jeunesse -masse. Il faudrait étudier plus spécifiquement cette descente transversale d’un degré dans ce qui jusque là était jugé moral. Elle produit les nouveaux rôles modèles de toute une génération qui pleura épileptique puis déterra pour vérifier qu’il fût bien possible qu’il soit mort, Dj Arafat.

Ainsi le technique, quand son effet premier n’est pas l’élévation mais érode… Et l’agglomération pour être impersonnelle et à identités multiples offre le territoire d’une sorte de dérogation au bon sens traditionnel où il y à moins groupe que foule et des entraînements dans de soudains délires mimétiques qui sont moins des mouvements qu’une stagnation : « De cette manière la vie noble reste opposée à la vie médiocre ou inerte, qui, statiquement, se referme sur elle-même, se condamne à une perpétuelle immanence tant qu’une force extérieure ne l’oblige à sortir d’elle-même. C’est pourquoi nous appelons “masse” ce type d’homme, non pas tant parce qu’il est multitudinaire que parce qu’il est inerte. »

Le rôle de l’histoire du développement de la technique sur l’effet de massification tel qu’anticipé par Ortéga est désormais flagrant. Plus il y a d’objets techniques pointus qu’on ne comprend plus l’esprit masse se renforce. Le corollaire est le recul de tout sens du traditionnel pour une société essentiellement (au sens de l’essence) actuelle, jugée ayant les ressorts de production et du renouvellement perpétuel de ses propres référents. La massification est ainsi le creuset d’oublieux ! Le pouvoir relatif que le digital place entre les main de la jeunesse –enfant pourrait virer à une; fabrique d’”abrutis prétentieux” touts puissants faisant des technologies de l’information et de la communication l’artisan potentiel de l’instauration d’une dictature de la masse. Et directement susceptible de nous faire supporter au monde l’étriqué et l’absence de noblesse.

« La caractéristique du moment c’est que l’âme médiocre se sachant médiocre a la hardiesse d’affirmer les droits de la médiocrité et les impose partout »

Mais le grand danger de la massification était déjà dans le creuset de l’Europe, pour José Ortega, menace sur l’humanité entière. Il prendrait forme de métastase à l’échelle que profile la démographie africaine si elle se réalisait sur le terreau connecté de sa force vive. L’individu-masse ne peut faire groupe ! « La civilisation pose la question du vivre en société. Comment vivre en société avec des hommes- masse ?»

De la perte de contrôle sur les cycles, il faut appréhender la suite vertigineuse de “Mondes” et ses conséquences en poupée russe dont le phénomène masse pourrait être l’ultime. Pour envisager d’Afrique, cette même foule créative paradoxale désormais compacte, sous emprise de flux whatsapp, sujette à toute variation dans vents les flux… et que la moindre mystification suffirait à jeter dans des cycles de violence extrêmes et durables.

Dans cet effet de la contiguïté, mouroir de la volonté, où il serait inscrit, le principe des temps toujours renouvelés s’abîmera pour ne pas trouver d’espaces de dérélictions individuelles dans les sociétés pourtant du potentiel de l’individualité parfaitement réalisé par le technique. Il n’y aura que le possible du mouvement de masse. On regrettera le temps où aboyer l’opinion de papa et maman pour un jeune était encore un moindre témoignage de process cognitif et de l’inscription dans de la structure. Il explosera de temps en temps le pathos, ruminé, que chaque auteur, convaincu, seul, d’être original, se trouvera légitime d’exprimer très haut pour couvrir la stagnation. Mais ce ne sera pas alors, l’hymne mais le morne atteint quand les choses ne s’entrechoquant plus, ne peuvent faire chorale.

Se profile une descente de temps singulièrement non impassibles réglés de roulis fous mais dont la conséquence serait le paradoxal inerte par l’avènement en amas des hommes non sociaux. Ou elle se circoncira dans un éclatement soudain, une explosion dans la multiplicité des vocabulaires dont chacun serait fécond. Et leur translabilité par le potentiel du technique même seul préviendra du chaos. Pour cela, faire de l’air.

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