Les Cycles Fous !

Sénamé Koffi A.
9 min readFeb 28, 2021

DÉCOLONISER LE FUTUR. CARNETS DE CONFINEMENT, feuillet #21.

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Une entrée possible dans l’époque extraordinaire que nous vivons est que justement elle annonce une suite de “mondes” toujours plus extraordinaires les uns que les autres… Au coeur du tohu-bohu triomphant des “innovations“ et qui définitivement semblent avoir marqué la fin des temps impassibles, en effet sont ainsi de grands moments de bascules qui se présentent de plus en plus abruptes et serrés. A passer, voilà des cataractes ! Dans la nouvelle quotidienneté — comme sous emprise de délire — du roulement permanent de phases d’euphories et bouffées d’angoisses où la disruption nous a installé, c’est désormais en vrai la violence de l’expérience d’un monde de l’impermanence des repères que nous faisons. Et finalement, la caractéristique en est (de l’époque) qu’elle tend à une sorte d’emballement dans les cycles et des basculements de plus en plus soudains et brusques; ayant chacun le potentiel de faire advenir un renouvellement systémique qui oblige à une refonte du corpus global du su, du connu, des relations, des valeurs et des habitus. Nous nous éveillons ainsi à une position de pionniers en ce que nous observons et expérimentons, emportés par la récente montée en performance du technique à l’ère digitale, ce qu’on pourrait considérer une accélération des successions de civilisations. Or au cours des vingt prochaines années, la puissance informatique va être multipliée par un million…

À coeur de tourbillon le vide désormais de repère

Avant, de tels renouvellements demandaient plus de profondeur. Il a fallu par exemple à peu près 115 siècles (-12000 -500) entre la révolution agricole et la révolution scientifique puis trois siècles et demi entre les deux surgissements : l’imprimerie et la machine à vapeur, qui ont produit les basculements des révolutions scientifique et industrielle. Née de l’idéal d’alphabétisation généralisée, l’imprimerie, prodigieuse invention qui débuta vers 1450 permit la diffusion du savoir à un niveau jamais atteint déclenchant la Renaissance, période où une plus grande part de la population redécouvrant le savoir de l’Antiquité, porte un nouveau regard sur le monde et accouche de la science moderne. Gutenberg et l’expansion de l’école publique installèrent un temps long et stable de la maturation de leurs acquis vers des changements de profondeur annonçant la transformation de systèmes entiers de production, de gestion et de gouvernance. au centre duquel se trouva la mécanisation. Après que cette civilisation industrielle se soit installée au début des années 1800, il a fallu attendre, ensuite le XX siècle pour qu’on acte que cette fois ci encore on venait, en quelque sorte, de connaître un renouvellement avec tout ce qui s’est cristallisé dès 1970 autour du personal computer puis dans la foulée d’internet et des technologies de l’information et de la communication. Et donc, on pouvait dire vers le début des années 2000, à ce moment là qu’on venait de passer rapidement au travers d’une civilisation de l’industrie électronique pour entrer dans celle de l’information. Les choses s’accélèrent extraordinairement ensuite. Nous n’avons pas eu le temps de digérer ce dernier bouleversement qu’on nous annonçait vers 2015, que là, en ce moment, nous étions à nouveau au cœur d’un basculement extraordinaire et que nous vivions peut-être le schift du web informationnel vers un web de la donnée… avec toutes cette “Data”, ce magma d’informations que nous arrivons à générer et à traiter avec la puissance de calcul décuplée de nos ordinateurs.

L’avènement de l’ère de la Data n’autorisa pas elle même suffisamment de profondeur pour nous laisser prendre la mesure des enjeux réels qu’elle charrie et les icebergs de la pensée qu’elle soulève : les débordements du marché et du politique sur le champ de l’attention et leur immixtion dans le domaine de l’intime et, la plateformisation du monde qu’elle induit, des geysers à la connaissance révélés et offerts désormais, l’emprise des réseaux sociaux et l’empire plus important en instance des objets connectés.

On nous prévint en effet, que peut-être dans deux ou trois ans maximum, en 2020 sûrement, et que c’est déjà même établi, nous allons encore vivre une révolution avec l’intelligence artificielle et les nanotechnologies et que peut-être nous basculerons vers ce qu’on pourrait appeler l’âge de l’Intelligence dont la caractéristique est le brouillage désormais des frontières notamment sur les sujets de l’artificialisation de la raison et du devenir humain du technique… avec des challenges plus immenses encore dont celui de la gestion un pouvoir de démiurge de l’homme qui pourrait lui faire perdre tout pouvoir. Quand ce nouveau point de bascule technique s’esquisse nous sommes cette fois ci avertis déjà de deux nouvelles menaces de dérades qui se proposent à sa suite : blockchain? informatique quantique? C’est une odyssée désormais notre emportement vers le futur.

C’est ainsi que nous assistons — esquif — ballotté — planche — folle — flottaison — blême — hébété — trop pris dedans le vertige — soulé- pour nous en inquiéter vraiment — à l’enchaînement de plus en plus pressant de virages qui forcent une remise en question de nos certitudes. L’exponentiel poursuivant, nous atteindrons l’ivresse de cette situation où nous changerons bientôt de civilisation tous les ans, puis nous en viendrons au point où nous vivrons une révolution par mois… Puis une nouvelle bascule épistémique interviendra ensuite toutes les heures. Et peut-être chaque seconde, plus tard, nous aurons à devoir considérer l’avènement d’une nouvelle civilisation.

L’Intensification du rythme du “progrès” et ce que les mutations se présentent de plus en plus rapprochées, ressacs ou trombes, nous livrent à ce désarroi qu’on ne peut plus projeter un futur. C’est désormais lui qui donc paraît avoir l’initiative en notre direction… On peut tenter de cerner la régularité, la constance… on peut même appréhender un exponentiel. Mais peut-on déployer la stabilité d’une pensée dans une configuration d’un delà d’exponentiel ? Cela, ne s’anticipe. Ce point où la pensée cesse d’être; ce point de folie est la marque désormais du futur. Il ne servira de rien de vouloir être prêt dans cette configuration. Il faut être préparé. Il ne s’agit dès lors pas d’investir dans une cartographie du futur.

On abordera cette traversée singulière de l’époque comme un parcours initiatique… meilleur moyen d’en conjurer la violence par son épousement. Réaliser au coeur de la désorientation, de cette dérive de l’humanité projet de purification pour une entrée dans un nouvelle temporalité. Pour ce faire, il nous faut la quille solide, l’esquif profilé à fendre car les écueils inconnus que nous croisons, nous ne faisons pas qu’y foncer; Ils se proposent.

En l’occurrence ici, et désormais le passé n’éclaire pas directement le futur…. la première implication est que se retrouve désuète l’éducation telle qu’elle est vue aujourd’hui, élaborée pour un monde de la constance.

Cat cette suite de d’innovations enchâssées les unes dans les autres, dont les nouvelles ont socle les précédentes, paraît installée. Nous serions ainsi pris dans une sorte de valse folle ou constamment nous aurons à refaire l’entendement et à repenser dans le fond nos postures parce qu’il y aura eu un revirement, une variation, une réorientation, l’émergence d’un nouveau produit, d’un fait nouveau ou d’un évènement qui aura complètement bouleversé les repères. Au vrai, au lieu de révolution digitale, il serait plus indiqué de parler de “cycle des révolutions digitales”. Et donc voici que nous sommes la première génération, c’est un fait unique dans l’histoire, à se trouver à cheval sur plus de deux civilisations, et donc, qui aura vécu la civilisation de l’industrie, celle de l’information, celle de la Data, celle de l’Intelligence certainement dans ses balbutiements et peut-être une partie de celles qui devraient suivre…

Les challenges que cela propose sont évidents. Il s’agit de développer une sorte d’éthique transversale et de créer la constance ; de produire du repère dans un monde de plus en plus fuyant et qui s’annonce être un monde. de la constance du changement : une enfilade de réalités dont chacun fait monde !

Quelle peut être la raison à cet emballement ? Beaucoup de ce qui se noue dans notre contemporanéité technique ne se peut comprendre qu’en quittant l’échelle de la relativité pour celles micro et macroscopique ! En effet notre échelle de la réalité est désormais handicapante : trop transitoire, transitaire pour saisir les occurrences et toutes correlations. De même l’échelle temporelle dans l’observation des phénomènes appelle lus d’air. Nous accédons à des pistes si par exemple nous dézoomions un peu la frise du temps et sortions un peu du piège de la prétention et l’enfermement dans la période historique (-12000 à nos jours seulement) ou dans la timeline de l’homo sapiens (-70000 à nos jours seulement). C’est le propre de chaque génération de nourrir la considération de l’exceptionnalité de son expérience ; celui de l’humain de croire son la sienne prépondérante.

Inscrit dans la chronologie très longue nous nous souvenons qu’il y a eu avant l’homme et son cycle, des révolutions autrement plus significatives : 1. le big bang et la naissance de l’univer en matière et énergie, 2. la combinaison de ces éléments dans des structures complexes menant à l’apparition des micro-organisme, 3. La combinaisons en structure encore plus élaborées qui va mener à la cognition.

Nous avons ainsi : un segment chaotique (auquel seule la physique/chimie a accès — 13,8 milliards à -4 milliards) puis le segment organique (que seule biologie étudie -4M à -70.000) et le segment culturel (que l’histoire étudie: depuis la révolution cognitive avec l’accès au langage. -70000)

La constance de tous ces surgissement de niveau supérieur — cosmique — est qu’elle sont toutes une nouvelle manifestation de la complexité de la vie. Et cela à à chaque foi quelque chose de la structure. Ainsi la chronologie très longue donne-t-elle l’impression de dérouler une histoire de la structure : chao — organisme — culture sont de la structure. Dans cette logique nous pouvons considérer que s’il devait y avoir un nouvel épisode dans le cycle de révolutions de niveau supérieur il aurait lui aussi quelquechose à avoir avec la vie et la structure.

Et si nous étions au coeur de ce nouveau grand basculement cosmique. Et si cette accélération apparente d’”innovations” n’était que la manifestation d’un seul même moment d’un seul grand changement qui nous ferait sortir d’une conception culturelle de la structure vers un inédit, une potentialité non envisagée jusque là: une nouvelle apparition de vie; une nouvelle configuration de la structure. Dans ce surgissement le digital (l’artificiel) verserait… pour une nouvelle forme composite de la vie où le structurel serait lien. Donc les cycle fous actuels, notre monde en constant changement depuis le digital ramenés à une frise plus profonde apparaissent quelquechose d’étonnement ponctuel, bref même, un stress naturel préparatoire ou modalité d’une révolution de dimension cosmique. Notre moment historique est une transition… qui sert un projet qui est celui de l’univers. Un nouvel épisode dans ce qui serait finalement strictement une histoire de l’humanité ? Une nouvelle structuration, un nouvel affinement nouveau de l’humanité ? Une humanité artificielle ? Ou une vie artificielle (avec ou sans l’humain) ?

Nos excitations ne devraient pas être abordés comme ce que nous faisons du monde mais ce que faisons de ce que le monde fait de nous. Dans cette logique la question de l’impact de nos actes est ramenée à nous. Et quoique qu’incroyablement fécond de l’enjeu de la relation au monde et peut-être même décisif que soit le moment, il n’y à d’anthropocène qu’à notre mesure et dans ce moment qui est le nôtre. Le soin en ce que nous sommes concernés du monde est en premier et rigoureusement de nous sans contrainte du temps qui lui reste fluide et garantit de fait la perpétuité, n’ayant aucun maître. En somme ce qui nous est laissé à gérer dans la théorie, c’est le peu de temps encore de ce moment transitoire pour décider (pour peu que cela soit de notre portée) si nous tenons à être de l’après ou s’il marquera notre disparition. dans tous les cas décider de comment nous voulons vivre cette fin. L’enjeu est là.

Aussi resterons dans la pensée ici dans cette profondeur moyenne de cycles de plus en plus fous, de quelques générations seulement encore de notre point de vue. Voilà le “futur” dont il s’agira ici.

Il n’est plus difficilement appréhendable aujourd’hui que ce futur. Indistinct dans tous les sens de l’actualité, il n’est plus différé. La notion est devenue très particulière : volatilité, instabilité dans la permanence, qui font l’unicité de notre époque. Or cette course éperdue désormais où nous sommes entraînés est pourvoyeuse d’amnésie. On ne se souvient de moins en moins du plus en plus proche dans le passé. On oublie ce qui était, avait cours il y a un passé proche. La mémoire, sous le poids de la technique s’effondre, pour aller plus avant dans le vide de repère. Trouverons nous secours quelquepart dans l’expérience? Ainsi désormais, c’est Le marché et l’algorithme devenus les 2 bons parents, les seuls, conduisent l’humanité chacun par une main… vers quoi ? L’abattoir ? Le complet égarement ou une expérience qu’on aura transcendé ?

La primauté du nouveau toujours sur l’ancien au point de l’écraser et d’autoriser qu’on l’oublie fissa, dévalorise l’expérience et fait roi qui a accès au plus neuf. Le générationnel s’en trouve bouleversé.

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