L’Artificiel achevé !

Sénamé Koffi A.
9 min readNov 11, 2020

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DÉCOLONISER LE FUTUR. CARNETS DE CONFINEMENT, feuillet #7.

Yvanovitch Mbaya

Il n’est pas vrai que la crise de la contagion a changé le monde. Elle en a juste incroyablement hâté le pas, forçant ceux dont l’instinct demeuré intact (c’est dire inattendument soustrait à l’œuvre de conformation) est qu’il faut le buissonner, à envisager de se radicaliser. C’est, cette crise, en définitif, une économie d’à peine quelques décennies dans l’hypocrisie pour atteindre plus vite seulement au point de bascule vers l’inéluctabilité d’une civilisation de l’artificiel achevé auquel on ne sait si le technique s’offre seulement en moyen ou s’il le stimule.

Pour le reste : des bons sentiments répandus, la frénésie de tribunes, les “y’a qu’à” — “ il faut” en chapelet; de tout le courage de circonstance, il n’eut au vrai, pas l’émergence d’une éthique. Pas une valeur nouvelle. Pas même au final un seul mot d’ordre suffisamment adapté.

Nous en proposons un ici, en titre, qui postule que l’essence du mal à être au monde est singulièrement l’irréel politique imposé par une circonstance que nous nommons l’Occident, au monde. Un régime d’artificialité dans lequel le continent africain a cette position paradoxale qu’il s’y double d’un délire d’extraversion et qu’en même temps il y échappe relativement par des ancrages encore à la réalité- Monde.

De ce régime global, les traductions crûment révélées en pandémie sont les priorités indécemment forcées du bullshit sur le concret, du synthétique sur le naturel, du futil sur le vital, etc. pour la même raison que les premiers ne défient pas les impératifs de la calculabilité et la prévisibilité. Aussi la crise de notre temps a-t-elle consacré : un système de valeur qui prend l’eau de toute part, le discrédit des autorités anciennes et le caractère hors sol de tout le signifiant d’aujourd’hui. Par là que le communiqué fasse plus foi que la fait matériel. L’économie en ce qu’elle est financiarisée, par exemple, désormais s’assumant folle, porte même la folie en principe ! On s’étonne de rappeler ces verité primales du patrimoine d’instinct d’une vendeuse de bouillie que la valeur d’une économie est dans la qualité de la relation qui s’est créée ou régénérée dès lors qu’il y a eu un échange, de ce que pour une comptabilité de la totalité elle fusse, l’économie, féconde.

Partout le roi est nu ! Mais le jeu accepté par le “spectaculaire” semble de n’en laisser rien voir qui exprimerait qu’on s’en formalise. C’est à l’irréel et en avant donc ! De fait, les institutions quand elles paraissent finalement clairement fondées sur le déni et la méfiance exacerbée de tout ce qui procède du naturel, partout doivent nous sembler aller de soi ! Quand elles s’avèrent inopérantes, doivent continuer d’agir… Quand elles mentent ouvertement, rassurer… Et plus elles sont désemparées doivent être prises au sérieux !

Debord dont les intuitions à mesure que dans le temps on s’en éloigne, s’avèrent de plus en plus fulgurantes, liait déferlement d’illogisme et technique :

« La dissolution de la logique a été poursuivie, selon les intérêts fondamentaux du nouveau système de domination, par différents moyens qui ont opéré en se prêtant toujours un soutien réciproque. Plusieurs de ces moyens tiennent à l’instrumentation technique qu’a expérimentée et popularisée le spectacle ; mais quelques-uns sont plutôt liés à la psychologie de masse de la soumission.

Sur le plan des techniques, quand l’image construite et choisie par quelqu’un d’autre est devenue le principal rapport de l’individu au monde qu’auparavant il regardait par lui-même, de chaque endroit où il pouvait aller, on n’ignore évidemment pas que l’image va supporter tout ; parce qu’à l’intérieur d’une même image on peut juxtaposer sans contradiction n’importe quoi. Le flux des images emporte tout, et c’est également quelqu’un d’autre qui gouverne à son gré ce résumé simplifié du monde sensible ; qui choisit où ira ce courant, et aussi le rythme de ce qui devra s’y manifester, comme perpétuelle surprise arbitraire, ne voulant laisser nul temps à la réflexion, et tout à fait indépendamment de ce que le spectateur peut en comprendre ou en penser. Dans cette expérience concrète de la soumission permanente, se trouve la racine psychologique de l’adhésion si générale à ce qui est là ; qui en vient à lui reconnaître ipso facto une valeur suffisante. Le discours spectaculaire tait évidemment, outre ce qui est proprement secret, tout ce qui ne lui convient pas. Il isole toujours, de ce qu’il montre, l’entourage, le passé, les intentions, les conséquences. Il est donc totalement illogique. Puisque personne ne peut plus le contredire, le spectacle a le droit de se contredire lui-même, de rectifier son passé. »

Pour consacrer l’illogisme généralisé, on a “démocratisé” à volo. Par effet de massification, plus on s’est trouvé informé moins on a eu le courage de questionner l’information.

« Sur le plan des moyens de la pensée des populations contemporaines, la première cause de la décadence tient clairement au fait que tout discours montré dans le spectacle ne laisse aucune place à la réponse ; et la logique ne s’était socialement formée que dans le dialogue. Mais aussi, quand s’est répandu le respect de ce qui parle dans le spectacle, qui est censé être important, riche, prestigieux, qui est l’autorité même, la tendance se répand aussi parmi les spectateurs de vouloir être aussi illogiques que le spectacle, pour afficher un reflet individuel de cette autorité. Enfin, la logique n’est pas facile, et personne n’a souhaité la leur enseigner. Aucun drogué n’étudie la logique ; parce qu’il n’en a plus besoin, et parce qu’il n’en a plus la possibilité. Cette paresse du spectateur est aussi celle de n’importe quel cadre intellectuel, du spécialiste vite formé, qui essaiera dans tous les cas de cacher les étroites limites de ses connaissances par la répétition dogmatique de quelque argument d’autorité illogique. » (Guy Debord, Commentaires sur la Société du Spectacle)

C’est alors qu’on saisit que la modernité d’impulsion occidentale et sur l’éthique pourtant de s’abstraire de tout « enchantement » connaît l’aventure ambigüe, le singulier destin de s’emboutir en fin de course dans une superstition propre, façonnée accidentellement d’elle — celle d’un progrès autoritaire dans l’artificiel achevé, où elle se trouve maintenant piégée !

La rationalisation généralisée de l’existence, tout l’effort d’aménagement du monde par l’esprit et la dynamique « civilisationnels », conduisirent ainsi à des déraisons dont on refuse par « principe » de s’absoudre . L’éthique cartésienne d’évincer la négativité et si désireuse de purger le monde de ses infinis, pour atteindre à l’idéal du tout calculable n’a accouché que d’un institutionnalisme dogmatique. Son automatisme est un extrémisme qui ne dit pas son nom. il y a ainsi en régime d’artificialité diktat du « principe » : toutes choses supposées extraites de la totalité pour les en séparer définitivement qui sont autant d’amputations définitives dans le réel, supposément aptes à le subjuguer et qui procèdent de logiques d’abstraction, de réduction fonctionnalisante et du tri consubstantiel au calcul.

Voici une pensée déficiente, séparatiste, qui échoue à prendre en charge la complexité nouvelle du monde. Une pensée dont les logiques sont illogiques même par endroits relativement aux mondes nouveaux que nous expérimentons, mais qu’il s’agit de continuer d’entretenir autant que si elle procédait du sacré. Il faut bien convenir qu’elle est désormais une pensée magique.

Mis en face de la sclérose, la fixité, le dysfonctionnement de ses systèmes, le paradigme globalisé ne veut pourtant envisager son obsolescence. Dès lors les sciences n’en sont plus et les techniciens des mandarins dorénavant, servant le paradigme, qui placés eux devant leur devoir et la légitimité de questionner les concepts balancent entre autisme autoritaire et frilosités superstitieuses.

« On entend dire que la science est maintenant soumise à des impératifs de rentabilité économique ; cela a toujours été vrai. Ce qui est nouveau, c’est que l’économie en soit venue à faire ouvertement la guerre aux humains ; non plus seulement aux possibilités de leur vie, mais à celles de leur survie. C’est alors que la pensée scientifique a choisi, contre une grande part de son propre passé anti-esclavagiste, de servir la domination spectaculaire. La science possédait, avant d’en venir là, une autonomie relative. Elle savait donc penser sa parcelle de réalité ; et ainsi elle avait pu immensément contribuer à augmenter les moyens de l’économie. Quand l’économie toute-puissante est devenue folle, et les temps spectaculaires ne sont rien d’autre, elle a supprimé les dernières traces de l’autonomie scientifique, inséparablement sur le plan méthodologique et sur le plan des conditions pratiques de l’activité des « chercheurs ». On ne demande plus à la science de comprendre le monde, ou d’y améliorer quelque chose. On lui demande de justifier instantanément tout ce qui se fait. Aussi stupide sur ce terrain que sur tous les autres, qu’elle exploite avec la plus ruineuse irréflexion, la domination spectaculaire a fait abattre l’arbre gigantesque de la connaissance scientifique à seule fin de s’y faire tailler une matraque. Pour obéir à cette ultime demande sociale d’une justification manifestement impossible, il vaut mieux ne plus trop savoir penser, mais être au contraire assez bien exercé aux commodités du discours spectaculaire. Et c’est en effet dans cette carrière qu’a lestement trouvé sa plus récente spécialisation, avec beaucoup de bonne volonté, la science prostituée de ces jours méprisables.

La science de la justification mensongère était naturellement apparue dès les premiers symptômes de la décadence de la société bourgeoise, avec la prolifération cancéreuse des pseudo-sciences dites « de l’homme » ; mais par exemple la médecine moderne avait pu, un temps, se faire passer pour utile, et ceux qui avaient vaincu la variole ou la lèpre étaient autres que ceux qui ont bassement capitulé devant les radiations nucléaires ou la chimie agro-alimentaire. On remarque vite que la médecine aujourd’hui n’a, bien sûr, plus le droit de défendre la santé de la population contre l’environnement pathogène, car ce serait s’opposer à l’État, ou seulement à l’industrie pharmaceutique. »

(…)

« L’expert qui sert le mieux est bien sûr, l’expert qui ment…» (GD)

Il n’y a, pour sa raideur et sa pâleur, rien qui, de la crise de la contagion, soit sorti abîmé comme l’esprit scientifique de la médecine dont on vit les quelques experts visiblement travaillés encore un peu par les conditions du réel être livrés aux gémonies. Aussi ces dogmes de déréalisation sont-ils caractérisés d’abord par ce qu’ils étayent une superstructure de négation des conditions mêmes du réel

Le dogme suprême demeure cependant celui de l’économie financiarisée; cette abstraction pourtant que le bon sens africain et la vendeuse de bouillie en bas de chez moi, démonteraient aisément ls impostures.

Au vrai, une seule minute de lucidité suffirait à nous rendre les choses insupportables. Deux nous mèneraient inévitablement à la conviction qu’il faut refaire de fond en comble l’entendement et qu’il n’y a pas un système fondé de la modernité occidental qui aujourd’hui doive sembler aller de soi. On naîtrait au gris vaste à l’envers du “green”, le principe structurel de l’aide qui aliène etc. et toutes ces comptabilités plus justes — tenant compte dans l’évaluation de la “croissance” de la “valeur” totale et des coûts réels (du réel?)- auxquelles sensibilise Felwine Sarr par exemple.

On se l’interdit.

C’est donc en Occident même, à grand renfort du “spectaculaire ” récemment formidablement mué qu’on entretient l’illusion… On a forgé par là un monde de représentations substitué au réel. Le concept même de divorce entre la réalité observable et ce qui par la méta structure de la démocratique du discours s’exprime n’est plus en tant qu’expérience puisque la distance entre les deux est en voie d’abolition. C’est dans l circonstance du premier entièrement phagocyté par le second, maintenant les représentation crues qui signifient, en tant qu’elles se manifestent désormais comme la réalité. Cette injonction à récuser l’évidence est pour ménager la stabilité du régime d’artificialisation général nécessaire à ne rien déranger des du déploiement des formes nouvelles de la marchandise. Car c’est désormais encore plus directement l’épanouissement de la marchandise contre l’expérience de la vie vécue se trouvant ici niée (et il faut au moins une radicalité de la négation en face de la radicalité de la vie). Nié radicalement c’est dire dans le droit même que sa conscience, c’est à dire le retour sur la vie vécue, s’autorise à naître, se manifeste et s’exprime. On peut là dessus compter sur un bon sens dont l’érosion est très avancée dans ces constructions industrielles où le souvenir même du contact du pied nu contre le sol s’est perdu. Effectivement l’instinct, le courage et l’énergie de le circoncire manquent désormais en Occident même où il apparaît de moins en moins évident qu’il faudra regarder pour espérer. il y apparaît un événement contradictoire quand surgit une figure pour seulement dire le bon sens. Le congé donné au réel, c’est systématiquement la récusation de ses conditions par l’artificialité substitué en monde.

S’il y a là avant tout un pari indécent sur la paresse et le manque de courage des peuples à envisager d’autres horizons, le soin pour vous éviter le réveil de la conscience, est de vous occulter les évidences ou vous les peindre comme contraints par quelques impossibilité structurelle.

Or nous sommes à un âge censément du technique démiurgique ! Où il n’y a d’équivalent aux bouleversements du monde que le niveau d’ébullition atteint du technique au potentiel de distribué. Où donc des empires de bon sens et d’éthique devraient trouver à se réaliser aisément ! C’est que, pris en main par l’industrie et le marché, la révolution technoscientifique même est tout à l’irréel.

Là dedans, l’Afrique se révèle conjecturalement autre…, une certaine Afrique paradoxale, inattendue… L’irréductibilité du Monde semble fugacement s’y trouver restaurée par la crise de notre temps.

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