La Grande Royale !

Sénamé Koffi A.
5 min readNov 6, 2020

« Il y eut un murmure. La Grande Royale attendit qu’il eût expiré, et calmement poursuivit : “ Je dois vous dire ceci : ni mon frère, votre chef, ni le maître des Diallobé n’ont encore pris parti. Ils cherchent la vérité. Ils ont raison. Quant à moi, je suis comme ton bébé, Coumba (elle désignait l’enfant à l’attention générale). Regardez-le. Il apprend à marcher. Il ne sait pas où il va. Il sent seulement qu’il faut qu’il lève un pied et le mette devant, puis qu’il lève l’autre et le mette devant le premier.” La Grande Royale se tourna vers un autre point de l’assistance :“Hier, Ardo Diallobé, vous me disiez : « La parole se suspend mais la vie, elle, ne se suspend pas. » C’est très vrai. Voyez le bébé de Coumba.” L’assistance demeurait immobile, comme pétrifiée. La Grande Royale seule bougeait. Elle était au centre de l’assistance, comme la graine dans la gousse. »

CHK

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2012. Dakar. J’étais encore alors, sans la discipline que m’enseigneront les ans, de refréner cette mauvaise fièvre de croire que je savais quelque chose... et qu’il devait être exprimé !

Pierre Goudiaby Atepa, dont j’avais tout de même un petit peu forcé la porte pour lui parler impression tridimensionnelle et “stratégies d’accélération d’un devenir vernaculaire du technique” - Pierre Goudiaby se débarrassa avec beaucoup d’élégance de moi d’un coup de fil passé à Alioune Sall : censément celui dont le futur était le sujet.

Paloma, plus élégamment encore laissa “la jeunesse” en plan, en plein milieu de la grande cour du King Farad Hôtel. On était en plein Sommet Africités.

Une façon certainement pour moi sénégalaisement de tomber de Charybde en Scylla. Or il n’y a pas assez même de deux manifestations coup à coup de l’autisme patriarcal que la matriarchie ne saurait rattraper.

Car cette nouvelle éconduite avait lieu devant Aminata Dramane Traoré. L’ancienne Ministre, je crois, vit mon dépit alors que Alioune Sall s’éloignait... Elle se rapprocha, fit parler l’inconnu que j’étais alors, plantant ses yeux dans les miens… jusqu’à ce que je fusse forcé de sourire. Elle me prit alors par la main (physiquement) et m’annonça qu’elle me cédait, dans un panel qui l’ennuyait complètement, un spot qu’elle avait tout à l’heure ! Que je n’avais qu’à y dire absolument tout. Tout ce que je voulais de mes curieuses certitudes technologiques !

Du panel, je ne souviens plus guere que d’Aminata Dramane au premier rang avec, ce que je crois être, mais qu’il est à la fois très facile de lui prêter et difficile à déceler réellement, un sourire malicieux.

Je dus tout de même faire bonne impression puisque je fus ensuite, volontiers, réquisitionné deux jours entiers en paiement de ma dette.

Je devins son secrétaire, rédigeant ses mails, lui commandant voiture… l’accompagnant partout ! Chez sa tailleure sénégalaise d’abord, où je feignit -certainement très maladroitement- de ne rien capter des énormes blagues salaces que s’échangeaient ces dames… insoucieuses pourtant visiblement, elles, que je puisse les décrypter.

Comme nous allions et venions dans le hall de l’hôtel, je vis tout ce qu’elle faisait se lever en Ministres actuels, passés et à venir, Maires, journalises, activistes…

Il s’avançait ainsi, réellement matériellement, que tous saluaient même de loin d’un automatique changement dans le maintient : la grâce personnifiée. Une espèce de sagesse close : une sereine radicalité dans le don. Les plus hardis, ceux qui ne peuvent définitivement résister à l’appel des bras d’une mère : ceux qu’ont été les plus aimés ou les plus orphelins en somme, s’amenaient…

Il y avait de la complicité spontanée. Tant de luttes…

Il y avait un petit Monsieur notamment, blanc, qui n’affichait aucun âge, très malin visiblement, de Jeune Afrique, je crois, cette presse dont on dit qu’elle fait plus d’argent avec les dossier qu’elle tait qu’avec ceux qui paraissent. Je vis, détaché, des tractations dans les couloirs du King Farad où la Tribu Ka, par exemple, essayait inlassablement de lui arracher une audience.

Aminata Traoré me demandait : « Mais Koffi, vous n’êtes engagé vous pour aucune cause !? »

Je répondais : « Mais Madame la Ministre, à quoi pourrais- je bien servir ? »

Elle affectait un air bien marqué de pas convaincue du tout, puis une moue supposée laisser entendre qu’elle renonçait provisoirement à m’endoctriner.

« Vous viendrez, n’est- ce- pas néanmoins, Koffi, me visiter au Mali… Nous pouvons faire des choses au Centre avec vos affaires de numérique ! »

Je promettais.

Quand j’ai été au Mali, je n’ai pas rendu visite à Aminata Traoré... C’est bête. Je suis allé jusqu’à la porte. Mon côté sauvage. Ou l’instinct peut-être que je ne trouverais pas mieux là que je ne continuasses d’habiter, ainsi qu’un rêve, mon instant privilégié avec elle.

Elle entrait quelque-part et le lieu soudain, quel-qu’il fut, se trouvait empli ! Parfaitement. Plus rien n’y manquait. Les femmes s’abandonnaient… Les hommes tortillaient derechef un mélange d’inconfort de la domination naturelle de cette personne sur eux tous, de joie vaste inexplicable d’être dominé… Chacun reconnaissait la plénitude que sa présence seule automatiquement déclenchait. J’observais.

Chaque africain, quelque soit son âge quand il voit Aminata Traoré croit sa mère, concrètement, là, se mouvant devant lui. Beaucoup de notre logique à nous autres passe par ce primat de la femme qui lorsqu’il aura lui aussi complètement tari - tel qu’il est concentré dans les intuitions d’Aminata Traoré, patrimonialisé en somme dans son paraître et son apparaître, en son dire et son silence -signera que s’en est réellement fini de l’africanité.

Je suis simple. Aminata Traoré c’est un féminisme que je n’ai pas à faire beaucoup d’effort pour comprendre : la vénération de nos mères !… quand tout est aujourdhui pour nous faire vénérer nos filles.

Je vis qu’Aminata Traoré ne supportait pas qu’on lui tint la porte sans la regarder. Elle demeurait tout à coup figée ! Là, à attendre… devant le garçon de service ou le voiturier, jusqu’à ce que celui- ci lève les yeux à elle… Les deux souriaient alors immanquablement… et Aminata Dramane Traoré s’engouffrait dans le véhicule… Me laissant juste le temps de ramasser pour mettre à l’abri à ses pieds, l’interminable cascade bleu indigo qui trainait après elle… De jeter moi aussi un furtif sourire complice au voiturier encore troublé par ce qui venait juste de se passer, et courir m’installer à ses côté par l’autre portière…

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