Du Corona au Colonat ? Contagion, métropolisation, technologies et logiques d’encagement
DÉCOLONISER LE FUTUR. CARNETS DE CONFINEMENT, feuillet #12.
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Il y a incubé par la société numérique, un nouveau mode aliénatoire, une gestation sournoise au cœur de notre âge technique, à la faveur du tournant de métropolisation du monde, qui menace le devenir, renouvelant complètement les ressorts et codes auxquels l’assujettissement et la spoliation nous avaient habitués à travers leurs formes anciennes par delà temps et espace: esclavage, servage, salariat, etc.
La notion de réification y trouve sa meilleure traduction. Une nouvelle situation de colonialité que j’appelle « colonat » pour le distinguer de toutes les autres..
Le plus avant que cette expérience se portée, c’est l’autonomie morale même qui se trouvera subvertie pour une logique économique. De nouvelles puissances ont émergées — autrement totalisantes- d’argent encore. Avec elles, des protocoles neufs à la prédation. Plus subtils ! Leur marque est que nous sommes invités à y collaborer ! L’intégrité d’action, de concept, d’émotion compromises, nos imaginaires saturés de projections des plus éloignées de nous mais que nous nous trouvons contraints de considérer nôtres, embarqués malgré soi dans leur cycle clos savamment maquillé du mensonge d’une épopée. S’y éveiller plonge dans l’embarras d’un Sisyphe moderne.
Aussi trouvons nous plus aisé de refouler ce point de taie d’une souillure nouvelle dans la conscience globale. Et il faut acter avec Sénèque que désormais “nous souffrons de l’imagination plus que de la réalité” ! De ces invasions pourtant de nos vies par la porte d’entrée de nos smartphones -devenue la vraie frontière qu’il est urgent de défendre- l’horizon est le réel sous emprise, forme future d’une même essence au besoin et à la dynamique de dominer devenue si conceptuellement complexe !
Le frivole qui a contaminé toutes les cultures : la civilisation virale n’a cependant jamais cessé d’entretenir son centre de névrose. L’Occident poursuivant ainsi l’œuvre de subjugation par tous moyens mais le service est toujours celui de l’extorsion de la plus-value : une abstraction devenue la réalité la plus partagée de l’humanité. On savait que le marché libéré ne tolère aucune frontière. Digitalisé, il distribue son centre de névrose. En chacun de nous à qui il prête un peu de son pouvoir de subjuguer et qui devient ainsi capable où qu’il se trouve d’être une résonance de capitalisme à la mesure et à son échelle. Dans la société écranique, en effet les aliénations sans retour de nos anciennes intimités qui sont autant de territoires concédés sur la souveraineté morale, prolongent la mise sous coupe plus concrète de nos politiques, économies et cultures. Implacable dynamique de la réification à toute échelle : intime, biologique, psychologique, sociale, environnementale de la totalité monde.
C’est certes un grand détournement. Car en vrai, le potentiel du technique est d’émancipation. Sa rapide croissance s’est jugulé en flatulences tandis que de disruptives coquetteries sont concédées aux acheteurs pour décorer un monde qui stagne. Il faut y voir une relative médiocrité en réalité entretenue essentiellement par manque de foi. Cela a pandant en Afrique dans un “exotisme technologique”, dont les agents : blogueurs, étudiants d’écoles de commerce, la vague actuelle de nouveaux explorateurs à sac en dos, nous découvraient il y a encore quelques temps un continent en innovations, en réalité tristement toujours arriere-cour du monde, tragi-comique toujours où la narration au “leapfrogging” se matérialise en d’étonnantes lourdeurs machinales et d’excitantes gentillesses -élaborées en déchets de toutes sortes pour censément révolutionner un continent de retards structurels-, mais dont l’addition ne fait pas soupçonner une vision, ne réussit la moindre valeur. Autant d’étincelles vites oubliées dont la fonction est seulement de supplément d’âme pour l’Occident.
Pour conjurer le déterminisme dystopique de l’artificialisation de la réalité, il faudrait le feu voler ! Et que transcendant le brouhaha des mauvaises lignes de code marchandisées, notre tâche ultime soit de concevoir systématiquement des solutions aptes à prendre en charge les inégalités d’accès au moyen de production, les menaces sur l’équilibre environnemental, les formes de travail sous/non payé, etc.
La crise sanitaire globalisée qui signale un point de brisure irrémédiable dans la réalité par une liberté prise trop avant avec le réel est l’occasion ultime de fonder ces révolutions. Mais on tergiverse ! On nous propose des reformettes quand il s’agirait de tout réinventer et que les outils nous en apparaissent clairement. C’est tout encore dans le souci de ménager l’irréel… Alors du confinement, partout la digitalisation libérale, avisée plus clairement de son destin, est justement ce qui triomphe. La récession au sortir risque de ne pas être techniciste. Les sirènes de l’uberisation exultent. Ce qui nous était donné à entendre d’abord c’est le glas d’un modèle porté au bout de ses contradictions.
Il y aurait beaucoup à dire des implications sociétales et psychologiques globales nouvelles de la compression du lieu de l’humain par l’automatisation, la mécanisation dans le cadre d’une division spatiale exagérée par le confinement… et sur ce que l’état d’exception reconfigure dans la société numérique.
Foucault considérait que le contexte pandémique offre à tout pouvoir le modèle idéal de la gestion des groupes humains (“biopolitique”), celui susceptible de leur faire accepter toutes conditions du contrôle. pour faire simple celui qui, au citoyen, lui fait abdiquer volontairement son droit élémentaire, notamment de se déplacer et tout son libre arbitre pour se trouver en position de collaboration et de facilitation de son propre confinement. On comprend aisément aussi que la crise sanitaire autorise aiguillonne la tentation du pouvoir de se perpétuer en dehors des cadres fixés dans les apparences de démocraties qui demeurent encore aux sociétés occidentales mêmes. Parallèlement, la force supposément légitime s’y trouve désinhibée : se fantasmant messianique et voyant sa panoplie de prétextes à étouffer des gens extraordinairement augmentée…
Mais Il y a une habituation plus sournoise à la surveillance. La quarantaine primaire, celle “de chacun” est désormais de l’intérieur de devices portant le potentiel d’une société du contrôle total.
Potentiel activité lors du test global dans l’obéissance sans questionner et l’acceptation sociale de la restriction qu’est la quarantaine actuelle !
Des caméras de reconnaissance faciale enfin déployées pour vérifier “uniquement” le port du masque jusqu’aux chiens policiers robotisés introduits “seulement” pour aboyer le rappel de la distance sociale, en passant par, offertes par de généreuses industries militaires, ces applications traceuses dont on promet qu’on elles ne conserveront pas vos données… observerons toutes subtilités de la laisse numérique : les basculements sensibles irréversibles d’un dégoût nouveau des corps vers le transhumanisme, du confinement à la mutation structurelle vers un capitalisme extractiviste renouvelé de l’”encagement”, les correspondances de masque et de muselières techniques pour la protection des “autres” etc.
Il est ainsi un un côté bassement pratique du COVID-19. C’est que émergeant au cœur de la spécificité chinoise, il aura fonctionné en catalyseur — au sens chimique d’un élément d’appoint qui par la coloration qu’il déclenche informe la présence silencieuse d’un état de fait — en soulignant singulièrement l’acuité de la « société numérique ».
Jusqu’ici discutée encore en possibilité, la Smart City par exemple s’est ainsi soudainement incarnée en Chine ! Révélée quasi-scientifiquement au travers une débauche réglée de technologies mises en système contre la contagion : applications de backtracking, reconnaissance faciale, algorithmes de prédiction, notation des citoyens, hôpitaux et maisons de confinement imprimés express en 3D, sas de détection, caméras de surveillance intelligents, drones auscultateurs, soigneurs, désinfecteurs, etc… le tout dopé à l’IA. Moins astrale désormais, la cité computationnelle exhibe l’efficacité de son réseau logicien entre les mailles duquel à Wuhan, Pékin, Shanghai, etc. le nouveau Coronavirus semble s’être retrouvé pris, puisque ce pays circonscrit son Armageddon.
Mais le bon instinct est ici, de se demander déjà que deviendra ce filet jeté sur la ville…
Du confinement, partout la digitalisation semble ce qui triomphe. La récession au sortir risque de ne pas être techniciste ! La gestion des corps soupçonnés est subrepticement abordé en nouveau boulevard au capital. Les sirènes de l’uberisation exultent. Or ce qui nous était donné à entendre d’abord c’est le glas d’un modèle porté au bout de ses contradictions…
Ainsi déconfinerons-nous, effaré de ne pas observer que le monde ait glissé de ses rails capitalistes ou qu’il y ait eu aucune bifurcation. Au contraire il est possible que la gestion sanitaire du COVID-19 ait préfigureé le saut qualitatif du “biopolitique” vers le “technopolitique”.
Au final, la donne grippale jette un coup de projecteur franc et saisissant à la manière d’un Caravage sur les angles morts du colonialisme à venir en même temps qu’elle semble par la tranche l’animer de quelque chose de nouveau dans le cru et la cruauté. Ces temps troubles sont en effet une accélération dans un état de cycles déjà marqué par l’emballement. Il faut les bénir pour ce qu’ils nous permettent de penser avec plus d’urgence le rôle neuf et les implications de la calculabilité dans la conformation de tout aux termes du marché et le désir de dominer. Une telle pensée pouvait difficilement prendre sa source depuis l’Afrique où le vrai des choses de l’actualité se trouve toujours excessivement nimbé. Je suis heureux que ma conjecture spatiale personnelle me permette de la proposer depuis un confinement parisien.
La pandémie dans ses fonctions ségrégatives franches ouvre un champs extrêmement subtil d’analyses : la conjonction des modèles idéaux de spatialité pour la gestion de crise biologique et du capitalisme digital et leur semblable potentiel autoritaro-totalitaire, le sort fait au mouvement de balance secours-péril par l’inéluctabilité désormais de la smart cité, le poids nouveau du régime de la distanciation dans la pente à glisser du technique de son socle social, la reconfiguration de la relation humain-machinique par la société de contrôle (sanitaire), etc.
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