Urbain, avenir de l’homme… et du capital !
DÉCOLONISER LE FUTUR. CARNETS DE CONFINEMENT, feuillet #14.
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Le futur se trouve en avance. Quand nous sommes censés y aller, voici que nous ne cessons de le prendre de plein fouet. Aussi ne comptons nous plus les modes de vie et les nouveaux outils que nous avons adopté récemment avant que de nous en rendre compte. Avec : des opinions auxquelles nous sommes gagnées ou qui gagnent sur nous.
Nous voilà d’inédites frontières où tout peut oser. Notre intégrité est la moins surveillée finalement à l’heure du renouveau des nationalismes et leur débauche de barbelés. C’est, au sein de l’espace unifié par l’économie globalisée, le fait d’inscriptions dans de nouvelles réalités territoriales de la « plateformisation du monde » et des environnements connectés. Essayer de s’y retrouver confine à la remontée vertigineuse de bouleversements digitaux qui sont autant d’univers merveilleux et angoissants, en chapelets, à transiter par leurs limites de plus en plus aléatoires.
Aussi la marque de notre époque est-il en un sens la fatalité ! Celle d’abord des « cycles fous » de l’escalade technologique piégeant l’humanité dans une situation transitoire permanente : au milieu d’une accumulation désormais de vieux mondes pas totalement morts et de mondes neufs qui ne sont pas tout à fait là encore… Dans une fatalité semblable proposée en énigme au début de son Ecce Homo, Nietzsche lui, voyait une chance (!). Fatalité ensuite des frontières qui intempestivement nous passent.
Le sujet de la contagion a de tout temps agité la cité et sa perspective. Il fut un des principaux arguments contre la grande ville. Les épidémies de peste ont fait l’urbanisme fonctionnaliste et l’architecture moderne occidentale a soldé la question du seuil au renfort de l’impératif de confiner/aérer (pas celui l’accueil). De retour, dans les circonstances neuves de la mégapole, le premier effet de la contagion est de sceller le fait que la « Grande Cité Mondiale » est parfaitement réalisée désormais. Elle ajoute à la fatalité du temps avec l’amenuisement, la congestion et le sentiment exacerbé de finitude de l’espace. Le brouillage de toutes limites que cela induit n’a pas figure uniquement de l’intrication dévoilée des économies à l’échelle monde. La contagion révèle définitivement qu’Il y a confusion d’anthropocène, de capitalocène et d’urbanocène ! Et que cette compromission (littéralement) contre nature de l’être de l’homme dans la finance et la mégapole est le fondamental.
Ce que la politique de sa gestion fera à la ville promet d’être sans commune mesure historique. Elle empruntera à culture technoscientifique. Mais quel est le rapport du technologique à cet écheveau humain/capital/ville ?
Il s’agit d’exorciser l’horizon de la cité computationnelle.
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Contre la fin du monde… et les libertés? Peurs sur la ville.
S’il y a, en civilisation du déclin de la valeur de la force de travail : capitalisme neuf, il ne lui faut pas supporter la concurrence du traditionnel. Le nécessaire sabordage de l’ancien pour le nouveau trouverait spectacle idéal — puisque tout doit être spectacle — dans une unique crise globale. (La fonction du spectacle ici est la mystification et faire passer un enlaidissement pour une valeur : On peut questionner là dessus le sens d’applaudir collectivement aux fenêtres, spontanéité dont la fonction était initialement critique devenue une institution promue par l’autorité dont l’effet par l’héroïsation est la normalisation d’un déplacement inacceptable dans la situation du personnel de santé.. Debord en dirait : « … la révolte purement spectaculaire (…) l’insatisfaction elle-même devenue marchandise » !)
Considérons donc la mue structurelle à hâter d’un système au taux de profit devenu trop bas dans la circonstance de « suraccumulation » ou de production rendue irrationnelle (C’est l’esprit magique du capitalisme dont l’expression est qu’on ait vu, quand on fut obligé de restreindre les échanges humains, des avions voler sans passagers pour permettre à leur compagnie de se survivre). Il faudrait à ce système, à repartir sur un nouveau cycle d’accumulation du capital débarrassé dans un feu d’artifice (artifice a ici tout son sens) du travail désormais mort et de son stock matériel, psychologique et moral. (Mais s’il a une dynamique interne, une force quasi tellurique qui oeuvre à sa perpétuation; le capitalisme ne se sauve pas lui même. L’histoire de ses crises de ruptures structurelles à résorber a montré que ce sont Etats et institutions qui actent son maintien systématiquement; chaque fois par un dégagement pour lui de la possibilité d’un déplacement vers le territoire inédit identifié, propice à ménager son invasivité).
La théorie de l’effondrement maîtrisé du capitalisme comme mesure de gestion de la baisse tendancielle du taux de profit — théorie dont le père est, il faut le rappeler, Marx lui même — appliquée en calque sur l’actualité de la crise sanitaire ne ferait pas que le choux gras du conspirationnisme. Elle permet d’articuler conceptuellement; par la radicalité des oppositions spatiales intérieur/ extérieur, humain/ machinique et ville/ périphérie, qu’elle favorise, la mise au pas du monde ancien par le capitalisme dominateur du réseau social dans le processus historicisé de résolution de la crise du capitalisme officiel et d’en extrapoler la dynamique.
Car le gros reset dont nous parlons devra être aussi l’acte officiel du transfert définitif du siège de superstructure capitaliste, de la périphérie du travail productif vers la ville de l’encagement. Le possibilité de liquidation transitoire que concentre la crise du COVID- 19 peut être ainsi saisie dans sa fonction de levée de voile sur ce nouveau moyen: l’urbanité. Il faut pour clarifier cela, définir la ville-outil.
J’ai suggéré dès 2012, qu’on envisage la Smart City en tant qu’il est un système, sous l’angle qu’il proposerait à l’Afrique, d’une nouvelle infrastructure coloniale dont la vraie innovation est dans l’avènement d’originales modalités et territoires de l’économie d’extraction ainsi qu’un renouveau de la logique de corps numéraires. Pour atteindre ces manières neuves de fouet et de mine, tout l’arsenal et la subtilité de dispositifs captifs concourant à une reconfiguration libérale : ce capitalisme déjà évoqué qui enferme.
Soumise à questions, le concept révèle effectivement sous tous cieux, qu’il préfigure parfaitement l’impérialisme à venir en organisant la somme des travers de la calculabilité. A la fois, d’abord, extraordinaire projet de l’obsolescence programmée portée à l’échelle de la ville : si la Smart City est la ville produite par la technologie, celle-ci ne cessant d’évoluer, la réalisation de la cité est toujours différée. A peine livrée la ville intelligente est caduque; c’est tout à recommencer. Cet horizon qui toujours se défile de la cité computannielle est une rente pour les grandes compagnies qui la proposent. Cette aliénation marchande qu’elle suppose conceptuellement est le premier élément qui fragilise des prétentions à la durabilité définitivement ruinés dès lors qu’on regarde aux coûts énergétique et environnemental).
Ensuite indiscutablement formidable pipeline de la donnée, soulevant de cruciales question de la souveraineté. (Sur cet point il ne faut qu’observer les errements de Sidewalk Labs à Toronto).
La projet de la Smart City illustre de fait parfaitement la double corruption du paradigme de l’innovation officielle : faire de l’argent, installer une domination !
La Smart City s’affirme pour finir un formidable outil de transfert de la complexité des structures sociales dans la complexification des systèmes. Le deuxième se coulant dans le lit des premiers, adoptant leur moule en somme, pour les vider entièrement. Cela se joue en Afrique en ce moment. Chaque jour un nouvel habitus séculaire y est renommé d’un terme “catchy” empruntant à la norme startup. Bientôt il ne se trouvera plus un seul jeune ébloui d’un écran qui ne célébrera religieusement l’application la plus récente; oublieux qu’il eût avant hosting visitors, ride-sharing et autres Pooling groups, des institutions et dispositions du partage dans nos mœurs. On affirmera haut, reconnaissant, que la Valley et “l’innovation” ont produit l’idée de même tout cela.
C’est, inscrit dans la Smart City, l’accomplissement du projet d’individuation où il peut enfin apparaître sans fards que “l’homme augmenté” c’est, par la dynamique technopolitaine, en définitif, l’être humain réduit à sa portion congrue. Isolé du groupe, mais aussi dans sa parole (les données parlent pour lui), sa détermination (les algorithmes prescrivent ses élans),… ses sens mêmes (les objets connectés sont son interface physique) ! C’est l’être humain sans son “être”. Vidé de son humanité (!)… Quelquechose de dernier qui n’est pas un substrat.
Cette menace d’écrasement du lien et le chemin qu’il fait à la « taxation » sournoise du social par les dispositifs dits de l’économie du partage, l’autre préoccupation qu’éclaire la conjecture.
Mais aborde t’on la contagion par ces prudences mises à jour ? Pour la ville en tout cas, il semble que ce soit plutôt vannes ouvertes aux canaux de la culture technoscientifique libérale. La légitimité nouvelle acquise dans le sillage du virus balise la voie à l’algorithme aménageur !
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