Déréalisation : Crise ontologique dans la pensée moderne occidentale

Sénamé Koffi A.
9 min readMar 4, 2021

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DÉCOLONISER LE FUTUR. CARNETS DE CONFINEMENT, feuillet #3

L’esprit en Europe a (sécrétée sur plusieurs siècles mais cristallisée en ses Lumières) introduit une originalité dans les systèmes de pensée et de structure des communautés humaines : l’architecture conceptuelle d’une anthropocentrisme clivé de la totalité !

Cet humanisme radical est la substance d’une trajectoire de pensée impulsée, entretenue, alimentée sur la base de réalités, d’accents, incidents et accidents propres. Une révolution dans l’esprit somme-toute logique, portée par des éthiques, du point de vue de l’histoire, strictement européennes… Ces éthiques furent certes incontestables considérées à la fois globalement (c’est à dire synthétisées) et ponctuellement (au cœur des crises à adresser) ! Notamment en leur critique de la sclérose religio- monarchique singulière et en l’érection d’une conception égalitariste dont la pierre d’angle parut aux phylophoses, une conquête absolutiste continuellement renouvelée (c’est dire prétexte) de la liberté individuelle.

On déboucha sur un rationalisme démocratique à fondement utilitariste dont l’optimisme survit étrangement jusqu’à aujourd’hui par delà, semble-t-il, les écueils pourtant nombreux de la pensée que notre contemporanéité a révélés. Est- ce donc qu’on croit la pensée moderne occidentale finale ? Et donc la pensée ouvragée de quelques métaphysiciens lors la période philosophique mais dont les derniers agents sont jusqu’à aujourd’hui tous économistes serait logiciel définitif du monde ?

Ce qui caractérise l’occident c’est d’être très satisfait. Ce n’est pas nouveau pour les peuples en sa périphérie. Le nouveau est cette espèce de crise dernière qui fait froncer les sourcils à la vendeuse de bouillie en bas de chez moi, qui remet des chants aux lèvres des vieilles femmes et qui fait lever la tête à des enfants !

Entrevoyant ce logiciel sous un tout autre jour, la lumière blafarde du régime de la quarantaine, qui comme à la hache découpe les formes, leur paraîtra t-elle qu’elle est l’aboutissement en realité d’un nihilisme intellectuel enclenché depuis Platon : une dépréciation constante de la vie à la faveur d’une accumulation de liberté prises avec le réel ?

De l’individuation à l’individualisme par exemple et comme la libre pensée semble toujours ici confiner à la pensée unique, le recul historique et le sort de l’humanité nous permettent en effet d’analyser que les éthiques européennes du XVIIIe (recyclés d’éléments du classique) furent malheureusement souvent viciées… Qu’elles furent responsables d’une limitation et d’un serieu unilatéral qui aboutirent au rationalisme sentatieux étroit, à l’autoritarisme de l’etat, des empires et de leur logique formelle qui arasa en Europe puis infériorisa, soumis et exploita à l’envie hors de son sol. Après cela de contaminer tout homme de la frénésie d’échapper à la vérité du lieu par une aspiration unique à ce qui est artificiel, prêt, achevé et univoque. Tout cela nous le verrons, principalement par la mobilisation excessive de simplifications : celles d’abord de la démission vaste. Ensuite pour avoir subi alternativement coups de boutoir et érosion et puis fatalement, finalement avoir entretenu une relation problématique à une épopée parallèle : celle de l’intérêt.

Contre le dogmatisme, l’esprit moderne fut tendu ainsi un arc. Mais cette extrême tension dont Nietzsche nous rappelle que souffre d’abord l’homme d’Europe porte flèche au lointain. Ce fut fatalement l’instrument d’un dogme plus global, une profonde maladie…

Péril de l’Esprit !

« Ce serait en effet poser la vérité tête en bas, et nier la perspective, nier les conditions fondamentales de toute vie que de parler de l’esprit et de bien à la façon de Platon. On pourrait même se demander, en tant que médecin, d’où vient cette maladie »

Alertant sur le péril de l’intelligence, Nietzsche, toujours, postulait que le premier dogmatisme fut l’invention par Platon de l’esprit lui-même. l’oppression christiano-ecclésiastique qui mobilisa les penseurs modernes est modélisée sur ce dogme principiel de l’esprit. Les métaphysiciens européens n’ont jamais réussi à se dépêtrer de Platon. L’eccueil où se complait tout dogmatiste, le philosophe moderne singulièrement, de desirer la verité ainsi qu’on desire une femme tout le sublime qu’en Europe on prête à ce sentiment contrasté d’avec le peu d’epaisseur matricielle au final et de considération au réel qui y trouve habitation. Pareillement l’amour comme la vérité du point de vue européen n’ont lieu et ne peuvent s’atteindre que dans un monde de modèles… Tout dans cette épopée extraordinairement magnifiée demeure au niveau de l’esprit seul.

Le faux de ces constructions est enfoui dans l’inconscient ooccidental ou les choses se passent comme si il y ait une loi non dite de ne pas le souligner ainsi qu’on le fait souvent de ces dispositifs en supplément d’âme , les constructions en superstructures mythologiques qui nous servent à rendre l’existence plus supportable. Ce ne sont pas des banals absolus, des édifices fantasmagoriques, des enrobages d’illusions, des simulacres et conventions à satisfaire l’homme profond, le desireux radical ou l’amoureux véritable. Tous ceux de l’inconfort d’une poursuite qui ne ferait que jouer à être finale. Car la radicalité du réel est en ce que sa vérité immuable (du réel) demeure inchangée quand la passion a flétrie. Quelle prestige dès lors en une quête qui en haut où tout se boucle ne fusionne pas avec le réel et le potentiel d’absolu patrimonialisé en lui seul ! C’est le sentiment que traduit en réalité ce trait de Céline : « L’amour c’est l’infini mis à la portée des caniches »

L’approche amoureuse, de ces cultures modernes européennes néanmoins, suppose la maladroite réduction de l’infini, un artifice d’infini. Un infini au rabais en somme, dont le destin est de devenir une superstition populaire quelconque, un malentendu sublime global à partir duquel on architecturera de formidables narrations, mais jouissif pour l’esprit uniquement et qui n’atteignent que par chance épisodiquement la vérité radicale du monde. Une indignité en somme pour qui désire radicalement l’absolu.

De l’amoureux donc comme des édifices philosophiques modernes qu’on voulut “ sublimes et absolus ” mais qui manquèrent la totalité cosmique. En vrai tout ceci participe de cette médiocrité dans l’exigence à laquelle une fatalité dogmatique est inhérente et ne prospère peut-être que par la mauvaise conscience qui des hommes des fois est le meilleur moteur.

Mais le projet ici n’est pas psychologique. Du reste Nietzsche a déjà fait et somme toute remarquablement fait dans les toutes premières pages de ‘Par delà le bien et le mal’, le procès des bas instinct, de l’instinct tout court du philosophe. Mon intérêt est au fait d’ontologie. Le sac dans les fondements de cohérence et d’accroc au réel procède par l’objectivation. C’est le mouvement intellectuel quasi-réflexe, répulsif, de retrait de l’homme occidental hors de toute considération de connaturalité et d’interdépendance des acteurs du théâtre total. Elle réalise, l’objectivation, la superstructure logique d’une cohérence ouvragée, industrieuse, une cohérence d’acier et de chiffres, de substitution à toute cohérence qui paraîtrait donnée. C’est aussi amorcé le processus inexorable d’artificialisation qui a au moment où j’écris, la faveur d’un exponentiel des technologies du virtuel et des circonstances d’une double crise : économique cristallisée d’une part et de la contagion d’autre part. Tous éléments réunis de notre théorie d’un triple enchâssement viral.

Substitués aussi aux facilités du bien et du mal, avec la modernité philosophique, de nouvelles facilités du bon et du mauvais qui présentent eux l’avantage, pour l’époque qui s’ouvre dès les balbutiements impériaux et industriels, d’atteindre au marché. Cette abdication de la pensée dans le désir de saisir la verité du monde, cette amputation dans l’embrasser du total, pour des logiques strictement de la mesurabilité, l’Europe s’en convainc d’abord puis le dépeignit à la terre entière comme une révolution.

Aventure de la pensée, aventure de l’intérêt.

Ce qu’on appellerait aujourd’hui le marché, en effet, investit l’expérience intellectuelle chaque fois dans l’histoire moderne de la pensée critique qu’un mouvement neuf fondé de la contestation de quelque dogme prêtait le flanc à l’insinuation du libéral. Le dessein fut d’en forcer systématiquement la validation par un certain nombre de logiques là aussi foncièrement mathématiques visant toujours à renforcer ou construire quelque monopole. C’est ainsi que la conscience occidentale s’est abîmée dans le profit !

L’esprit bourgeois des mœurs et du capitalisme, adoubant la défense de l’homme libéré pour le motif inavoué qu’elle donne licence d’exploitation d’une totalité de laquelle, au prétexte de la dépouiller des mystificatications, c’est tout le sacré qui est évincé en même temps que les arguments scientifiques de la pensée moderne la structurent… Les sociétés supposées primitives (en réalité avant-gardistes en tout l’effort anticipatoire semble — t-il, — au travers de complexes de médiations conceptuelles — de patrimonialiser le sacré, sous des manifestations les plus inattendues firent les frais de la pensée de la libération de l’homme qui confine à une objectivation totale.

Les perturbations dans les conceptions sacrales du lien de structure biosphérique et social, sont le vide créé au cœur de la conscience du primitif sur lequel prospère le marché sous toutes ses formes. Libéré singulièrement de la nature et du groupe par le projet civilisateur renouvelé (récemment coopération, développement, modernisation etc.) c’est une occupation triple désormais de l’âme, le corps et le trône de l’ancien primitif par des logiques d’extraversion en autant de nouveaux liens tenus serrées qui donc l’entravent dans une fixité conceptuelle et l’intriquent fortement dans la grande machine néolibérale.

Nous verrons le poids extraordinairement d’actualité du gel de penser et le glas de système chez l’Africain. Avec la crise coronavirale, de nouvelles conséquences peut-être tout à fait inattendues et globales des perturbations dans son ordre ancien et la fissure irrémédiable dans l’ontologie dont est porteuse la pensée moderne disorganique.

Contaminé de l’intérêt, l’aventure intellectuelle construit un espace desséché et vorace hanté uniquement d’un sens exacerbé de l’appropriation privée.

Le concept ancien était lui pour exclure l’avidité, désamorçait la tentation d’accumulation la performance qui sont : l’accumulation et la performance des fondements du capitalisme. Son expression la plus connue est évidemment l’ “Ubuntu“ sudafricain : notion d’une interdépendance qui fait l’équilibre du monde et un désir d’unité dans la totalité. C’est en réalité là une éthique transversale aux sociétés africaines qu’on peut faire remonter jusqu’à ce qu’on nommait dans l’espace egyptien la Maât. Voici le point de crête de systèmes de pensée de la “confusion” : inextricabilité des ordres, le cosmique, la justice, le politique, la société etc… à toutes les échelles où on porte réflexion. Fatalement une construction qui prend en charge en un même geste l’humanité et le souci de l’environnement; puisque l’humain au sein du tout vivant, n’est pas perçu ainsi un acteur parmi d’autres. l’humanité n’est ni reine, ni dissoute mais une humilité constante réellement affirmée comme garant de l’ordre. Un anthropocentrisme responsable en somme.

C’est donc une toute autre qualité d’espace, fatalement du marchand, qu’affirme la pensée héritée des métaphysiciens européens. Tout ce qu’il s’agit d’exploiter est phagocyté au sein de cet espace. Il fut terreau de la mathématisation de toute la potentialité; rattrapé par le motif logicien qui le détermine. Ainsi de la colonisation; et pour la justifier d’abord la naturalisation de ceux à asservir puis par extension du domaine de la raison, le dénigrement de leurs modes de vie originaux. Pour l’être primitivisé, dans la circonstance de la domination coloniale, ce glissement sera pris en charge par un racisme évoluant subtilement du biologique au culturel. La réduction maximale au statut d’objet touche finalement aux mœurs à qui on niera comme nous le rappelle Fanon, toute profondeur. Car, Fanon encore : “Il n’est pas possible d’asservir des hommes sans logiquement les inférioriser de part en part”

L’objectivation est le moyen de cette infériorisation. Naquit ainsi une pensée foncièrement instrumentale dans ses subtilités intriquées impériales et industrielles qui réalisèrent le globalisme comme espace du seul infini désormais supportable à l’intellect : celui envisagé comme territoire d’expansion du processus de marchandisation. Par là celui de la déréalisation dont les mouvements philosophiques premiers furent de la dénaturation et de la dé-socialité.

Mais il fallut à des élaborations hors sol de la caste philosopheuse européenne enfermée dans la culture de la pensée auto-justificatrice, à une vision sans plus aucun accroc au réel et donc la probabilité qu’elle convainc d’instinct; il fallut disais-je quelque relais de force pour qu’elle s’imposât au niveau où la pensée occidentale l’est devenue : barbarisatrice d’abord de l’Afrique, des Amériques, de l’Asie et l’Océanie puis étrangement maintenue comme logiciel du monde quand bien même ces contrées furent considérées ayant brisé l’étreinte d’airain coloniale. On répudia ainsi l’occident sans répudier la pensée occidentale d’abord et le mouvement général de décolonisation ne fut nullement une contrariété de l’occidentalisation du monde.

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