Bebop : Révolution dans le Jazz & révolution par le Jazz !
Amériques Noires & Contre-Culture. #1.
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Bien avant l’ère des contestations violentes et comme la préfigurant, le jazz connu une bref moment de radicalité. Pas suffisamment étudié, cet âge coléreux du genre est pourtant intéressant pour sa complexité assumée. Au tout début des 40es donc, apparaît,dans la jazzistique, une forme dont la caractéristique est que, tout d’un coup, la musique semble ne plus vouloir s’amuser !
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Le cri du peuple.
L’essence ‘Blues’ qui travaille la musique africaine-américaine des Worksongs au hiphop est, selon Amiri Baraka, l’« être américain » de l’homme noir. Ce au travers de quoi il croit se saisir et se réaliser, et bien évidemment le lieu de tous rêves et cauchemars, toutes révolutions et démissions, de toutes les projections et leurs contradictions. L’africain transplanté nu en terre d’exploitation, se forge les outils et attitudes par lesquels il appréhende et rend supportable sa nouvelle condition. Le Blues est la voix primordiale — qui menée à intellectualité fait Jazz — questionnant l’environnant, le temps et l’espace. Ce dialogue, le bebop le portera aux nues.
A l’origine du Jazz il y a des monstres sacrés (2) : Duke et Louis, les grands maîtres. Mais il y a surtout, et aussi loin qu’on remonte, l’histoire de chaînes, de lynchages et de ségrégation, que cette musique charrie des champs de coton du Sud, à la Nouvelle Orléans, New York, puis Chicago et jusqu’aux années 30 : âge d’or du Swing. De très grands orchestres (Count Basie, Chick Webb, Goodman etc.) rivalisaient alors, dans des battles où le travail de session rythmique et l’invention mélodique, célébraient deux nouveautés dans la vie des Noirs : la danse libre et l’urbanité. Qui veut saisir la psychologie swing-jazz peut s’en remettre entièrement au portrait à peine caricatural qu’en fait Spike Lee dans la première partie de son ‘Malcom X’.
Carles & Comolli : « Les solutions magiques qui étaient désormais offertes aux Noirs : la danse, l’alcool, la drogue, le vol et le jeu, pour échapper au travail en usine ou à la misère du chômage ; plus l’illusion d’être presque Blanc grâce au décrêpage chimique des tignasses nègres.»
Le morose et la crise économique d’après-guerre — condamnant les ‘Big bands’ et impulsant les formations plus intimistes avec leur lot d’impros et de solos — va favoriser l’émergence d’un tout autre ‘style’, au langage abscons et qui semble s’exprimer en réaction à l’euphorie Swing et au jazz-spectacle.
Première musique non dansante, première musique intellectuelle — d’aucuns diront première musique tout court — le bebop aura une existence brève mais marquera à jamais le genre. Une rupture si radicale qu’elle déstabilise les « spécialistes.» Le célèbre critique Panassié, par exemple, propose tout simplement d’exclure Bop de la famille Jazz. Cette tentation de disqualification est discutable, si on aborde la chose à l’aune de la configuration particulière d’époque telle que le dépeignent l’essai d’Amiri Baraka (Blues People), celui des Français Philippe Carles et JL Comolli (Free jazz, Black Power) et les témoignages des jazzmen mêmes (Roach, Mingus, Coltrane …), acteurs ou aux premières loges de cette formidable parturition. Celui de Miles Davis surtout, dont l’autobiographie ouvre sur cette déclaration : « Écoutez. La plus grande émotion de ma vie — tout habillé s’entend — a été d’entendre pour la première fois Diz et Bird jouer ensemble à St Louis en 1944. J’avais 18 ans (…) En les entendant, je me suis dit : « Mais… C’est quoi ça ? » Merde ça faisait peur ! Un putain de truc; ça me prenait tout le corps…»
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Années 40, Minton’s et naissance du Bop
Dizzy Gillepie dit « Diz » (25ans) et Charlie « Bird » Parker (22ans) sont peut-être définitivement les « inventeurs » de irrévérencieux Bebop. On ne saurait oublier l’apport au piano-vodou d’un Thelonious Monk. Ces Trois là sans doute furent ceux qu’on pourrait considérer les premiers “rappeurs” de l’histoire de la musique noire moderne. L’énigmatique philosophe de Princeton Cornel West affirme que le Blues n’est pas une simple musique mais « Un mode de vie durement gagné, qui devrait à ce titre déstabiliser et rendre nerveux les Blancs face à l’héritage de la suprématie blanche. » Les Bopers avaient l’intuition fulgurante de cette vérité, sans qu’on puisse jurer, qu’ils l’aient porté à un état de conscience autrement assumée que par l’urgence qui les jetait dans les jam-sessions.
Loubards, junkies pour la plupart, pareillement fauchés, certains authentiquement paumés, mais ayant tous une pure conscience politique, ces blacks de Harlem, qui évoluaient dans l’ombre de Armstrong, Ellington et Young, se trouvaient souvent à comploter dans des réunions after hours où on aimait à se lancer le défi d’inventer de « nouvelles choses » que les « Maitres » seraient bien incapables de jouer. Fille de ces expérimentations quasi-clandestines, l’éruption Bop a lieu au Minton’s Playhouse, un sombre temple du jazz, véritable chaudron et laboratoire musical où jammer succédait aux bastons. De très jeunes musiciens, parmi ceux qui avaient le plus faim, les plus téméraires aussi, s’y risquaient : Miles Davis, Max Roach, … en disciples assidus de Bird et Diz, les principaux officiants du culte : « Nous étions tous là pour tenter de décrocher notre maîtrise et notre doctorat de Be-bop de l’université Minton’s. » Quand ils ne sont pas au Minton’s, c’est à dire tout le jour, les nouveaux dieux jonchent le sofa de Pannonica de Koenigswarter. Groggy, Affalé parmi les quelques 120 chats de “la Baronne” et un peu de narcotique, on tramait quelque assassinat nocturne dont serait simultanément l’objet : la musique et le principe de domination. Carles&Comolli encore : « Ainsi, à l’insu ou presque des Blancs, les Noirs préparaient les musiques qui allaient répondre à la colonisation et à l’exploitation dont le jazz était victime ».
Au détour d’une jam-bob endiablé, on croit voir surgir le « Noir nouveau » d’Alan Locke… Depuis le Minston’s lieu de la marginalité, “interdit” aux Blancs, le Be-bop va se répandre en lave… mais dans la 5ème rue d’abord… Aussitôt qu’il sortait de son antre, livré au regard non noir, « dégrossi », le Bop perdait cependant quelque chose de sa « nocivité », devenait moins « hot » et « novateur »; « l’idée dira Miles, étant qu’il fallait mettre la pédale douce à la nouveauté pour les Blancs, qui étaient incapables de supporter le truc authentique. » Mais même ainsi modéré, Bop n’était pas neutralisé. il dérangea tout de suite : « Beaucoup de Blancs n’aimaient pas ce qui se passait dans la 52ème. Ils ne comprenaient pas ce qui arrivait à la musique… Il y avait une forte tension raciale autour du Be-bop. »
Jusqu’en France, patrie d’adoption du jazz, le ‘New thing’ inquiète. Obscur et vertical, le Be-bop va se trouver au centre d’un débat politique, anthropologique et esthétique confrontant défenseurs et rétifs, avec une ligne de fracture on ne peut plus nette… mais qui ne sera pas toujours, loin s’en faut, de couleur.
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Être ou ne pas être « Bop », théories et contre– théories
Énonçant le vœu pieux de voir un jour l’Afrique moderne s’extirper du folklore pour s’inventer une culture, Cheik Anta Diop disait en 1948 : « Certes l’Afrique est un continent très riche au niveau des rythmes. On aime souvent à répéter qu’elle est la mère lointaine du Jazz. mais nous sommes fermement convaincus que, lorsque l’Africain sortira de sa routine séculaire pour se mettre à composer de la musique selon une méthode définie, il atteindra facilement un niveau d’expression musical qui, sans cesser d’avoir quelque chose de commun avec le Jazz, dans le domaine de la sensibilité, aura quand même je ne sais quoi de plus fier, de plus majestueux, de plus complet, de plus occulte. La musique africaine doit exprimer le chant de la forêt, la puissance des ténèbres et celle de la nature, la noblesse de la souffrance, avec toute la dignité. »
Au Minton’s, on avait commencé de travailler cette utopie, avec un soudaineté et une force qui vont diviser la critique. ‘La bataille du jazz’ oppose dès 1945 à Paris, le clan des « raisins aigres » ostensiblement enthousiastes et le clan des « Figues moisies» mené par l’inénarrable Hughes Panassié. La croisade que mena ce dernier contre le mouvement Bop est légendaire : « Le Bebop s’écarte accuse t-il de la tradition du jazz, c’est à dire de la tradition musicale noire, néglige le swing et … est sans cœur et sans âme. », « …Il fallut l’arrivée des bopper pour assister, sous prétexte « d’idées avancées » au saccage du blues par l’emploie d’une technique instrumentale qui lui enlève tout caractère, toute authenticité ».
« Authenticité ! », le mot est lâché. C’est donc au nom de la tradition et donc d’une certaine authenticité qu’on vouera le bebop aux gémonies. Il s’agit ici encore de sauver le nègre de lui-même, ses « protecteurs » auto –déclarés arguant que toute tentative d’innovation en le livrait de plus en plus à monstruosité frivole du monde blanc, le corrompait à des habitudes blanches et l’éloignait de ce qu’il est (ou ce qu’on eut voulu qu’il demeura). Ce à quoi le Carles&Comelli répond : « Dans la mesure où le bop commence en marge du jazz dominant, où il se fait comme expérimentation de nouvelles formes en réaction contre les courants dominants, où il est l’œuvre d’un certain nombre de musiciens noirs excédés par le jazz que commercialement ils sont contraints de faire, il marque la prise de conscience par ces musiciens d’une certaine aliénation de leur musique, de sa soumission alors complète aux intérêts commerciaux et valeurs culturels blancs. Cette réaction vise précisément à réauthentifier la musique noire, à la rapprocher de son peuple. »
Le « terrorisme » politique et culturel des systèmes esthétiques qu’on entend imposer par souci d’authenticité, Fanon a fini d’en mettre à nu les mécanismes dans Les Damnés . Touchant à la diabolisation du Bop, il cru voir l’exemple patent du réflexe à vouloir entretenir chez le dominé une certaine fixité rassurante : « Ce sont les colonialistes qui sont les défenseurs du style indigène ; on se souvient parfaitement des réactions des spécialistes blancs du jazz quand se cristallisèrent de façon stable de nouveaux styles comme le be-bop. C’est que le jazz ne doit être que de la nostalgie cassée et désespérée d’un vieux nègre pris entre cinq whiskies, sa propre malédiction et la haine raciste des Blancs. Dès lors que le Nègre s’appréhende et appréhende le monde différemment, fait naître l’espoir et impose un recul à l’univers raciste, il est clair que sa trompette tend à se déboucher et sa voix à se désenrouer.» Le boper en Nègre s’appréhendant, rompt avec trois dogmes : l’amusement, le dolorisme et l’exaltation qu’on croyait inhérents à la musique des noirs déportés.
Il s’invente un nouveau discours, complexe et moderne, (qui emprunte au mythe et au tragique)… et qui fait peur. Nous le savons désormais, ce qu’on ne comprend pas chez le Noir, on commence d’abord et systématiquement par le condamner puis par le dénigrer (littéralement dans un deuxième temps). C’est qu’on a constamment peur. Et cette crainte qui est moins raisonnée que la manifestation d’un réflexe, trahit une sorte d’inquiétude permanente, la mauvaise conscience du dominant. On craint aujourd’hui comme hier, du boper comme de l’esclave tapant sur son tamtam, qu’il s’ourdisse quelque mauvaise vengeance… Puis on finit par s’approprier et promouvoir — par grands élans paternalistes, à travers sa surproduction, standardisation, spectacle, exotisation, commercialisation — ce langage qu’on ne comprend pas… Ce qui est la meilleure façon de le rendre inoffensif en le dédramatisant. Ce sont les rares fois ou le dominant parlera la langue du dominé. Le spectre de théories esquissé, concernant le bebop ne serait pas entier sans référence à ‘Blues people’. L’activiste LeRoi Jones (Amiri Baraka), dans le but de mettre fin à la masturbation de « la critique blanche », en premier noir à écrire sur le jazz se trouva seul à guerroyer contre tous aux USA, depuis ceux qui nient jusqu’à l’africanité même du Jazz, jusqu’à ceux qui trouvent le Bop « inécoutable.»
Si on n’entend rien au bop, le résultat est d’une certaine manière, voulu. Bebop est la voix du sujet irréductible qui cherche à s’affranchir des processus marchands. Le sujet qui inquiète. Ce déviationnisme entretien l’angoisse qui la transforme en un double sacrilège à l’idéologie capitaliste et au statu quo de la distribution raciale. Mais le bop est d’abord une révolution esthétique, une quête de complexité qui pour utiliser le terme d’Amiri Baraka, fit « rentrer le jazz dans l’antre de l’art.»
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Esthétique Bop ?
Coincé entre le dansant Swing et le classieux Cool, le Bebop semble hors toute linéarité, comme un croche pied fait au Jazz . Bien sûr nous sommes en présence d’une génération qui ne veut plus donner dans l’Entertainment. Il ne s’agit plus de savoir jouer seulement, ni même de jouer autrement, Il s’agit de ne plus jouer du tout. De fait Bebop est une avancée de langage. Plus véloce, saturée à l’excès de « Ghost notes », l’énergie brute et sacrée qui libérée pousse le bouchon le plus loin possible dans l’outrance (outrage?) et de l’impertinence. Ça dialogue plus avec le tempo ! Une sorte de complicité entre batteurs et solistes transparaît. ! Le groove, la part la plus africaine du Blues, se complexifie, se dérobe ! On ose toutes les digressions sur l’assise rythmique ! Accélération ! En phrases de feu, les envolés lyriques du bien nommé Bird, montent et descendent, s’estompent et reprennent brusquement ! Des ponctuations inattendues, faussement anarchiques ! Un certain art de la surprise ! L’art tout court.
La quantité d’informations à la seconde qui est livrée est impressionnante. Rebonds libres, générosité dans les effets, profusion d’idées, le Jazz n’aura jamais autant jasé qu’avec le Bop. L’académisme du « Middle Jazz » est mis à mal, mais ce qui est manigancé va bien au-delà du simple meurtre des pères Duke et Louis. A y regarder de près, on fit à la musique de Charlie Parker, la même critique qu’on faisait à la poésie de Césaire. Les jeunes musiciens de Harlem, faisant leur « négritude », empruntaient à une certaine esthétique de l’hermétisme, qui se réclamait d’une « sauvagerie nègre » moins réelle cependant que construite du refus de tout canon esthétique imposé par le Blanc. Voulant aller le plus loin possible dans leur désir de « désoccidentaliser le jazz », les bopers comme plus tard les Free-jazzmen travailleront leur look en allant vers le plus africain, se débaptiserons et prendront des noms musulmans ou ‘typiquement ‘africains. (Le père de Nas se fera baptiser ‘Olu Maré’ par un prêtre Yoruba)
Viril et teigneux rythmiquement le Bop n’admet pourtant pas la danse ! Bouder le corps, n’est ce pas là le plus loin que puisse pousser la fronde, une musique africaine ? Cela met en lumière l’intellectualité du langage, et ruine toute l’architecture des théories racistes sur la création musicale nègre. De fait « Bop » est un style savant propulsé par des intellectuels : ce « fou » de Dizzy Gillespie, grand connaisseur de la musique africaine et politisé jusqu’au bout des ongles (il fut candidat aux élections présidentielles de 64), Charlie Parker tout aussi érudit en lequel on voit désormais un des plus grands génies de la modernité.
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L’Oiseau
Vivant dans une « sorte de panique perpétuelle » , en avance sur son époque…, incompris, Bird est à mettre dans la même catégorie que les Lautréamont, VanGoh, Basquiat et autres Artaud. Tous ces illuminés, suicidés de leur société, certains ne pouvant supporter la médiocrité de l’existence qui mirent une rare passion à se détruire physiquement. A la fois l’homme « le plus chic » et le plus high de New York, se consumant entier dans une boulimie de musique, héroïne, alcool et femmes ! « Je n’ai jamais compris, confie Miles, entre autres, pourquoi Bird faisait toutes ces conneries qui le détruisaient ; il devait le savoir lui. C’était un intellectuel. Il lisait de la poésie… il parlait beaucoup de politique… C’était quelqu’un de très sensible. Mais voilà, il avait en lui une pulsion destructrice. C’était un génie et la plupart de génies sont boulimiques. C’était une personne complexe » Zombie en dehors de la scène, Bird se transfigurait littéralement quand il portait son saxo aux lèvres. Son génie explosait : « Bird était une sorte de Dieu… On ne pouvait copier ce qu’il faisait, c’était trop original. » Avec ses solos de saxophone alto, l’empoisonné partage un peu de son poison et gangrène l’esprit de l’auditoire. Anthropology, A night in Tunisia sont de la révolte en libre service, de l’audace crue. Une parole éminemment libre. Le père du bop meurt en 1955 à seulement 34 ans (le médecin qui constate le décès lui trouve le corps d’un homme de 60 !) L’Oiseau, comme aime à le répéter Miles, c’était vraiment « Quelqu’un.» On dit que de nombreux jazzmen pour atteindre à seulement une fraction de sa fulgurance, donnèrent sans retenue dans les narcotiques et que cela entraîna une hécatombe qui précipita le déclin du mouvement Bop.
Au vrai ce qui signa l’acte de décès du bebop a nom: ‘Cool’
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Années 50/ ‘Cool’ : après la tempête le retour au calme
Récupéré par le système, le bebop n’est plus que l’ombre de lui-même, quand en 1949, Miles Davis arrive en France pour un concert. A la suite de Diz qu’il avait remplacé dans la formation de Parker, il en claqua la porte, excédé par les frasques de l’oiseau chancelant. Miles, dont c’est le premier voyage hors des States, est littéralement retourné par ce Paris où pour la première fois de sa vie, on semble le traiter en être humain. Les plus grands s’intéressent à lui. Dans une période extraordinairement courte, il rencontre et se lie d’amitié avec Picasso, Vian, Sartres… Il remarque dans ce cercle d’existentialistes, une frêle et jolie brune dont il s’éprend. Elle, qui jusque là, n’aimait « que les femmes », lui rend bien ! Sartre veut les marier derechef. Enlisé dans ses effluves et livré aux charmes de la capitale française, Miles voit tout le potentiel rage sien s’évaporer. C’en est trop, le jeune prêtre du Bop abjure. Il n’est presque pas exagéré, en réalité, de dire que Juliette Gréco a achevé le Bebop…
Quand Miles rentre de son séjour parisien, il est déjà mûr pour initier le renouveau esthétique du Jazz. Il sort « Birth of Cool » en 1950. Moins outrancier, plus esthétisant, le Cool-Jazz sonne presque comme un repenti. Il trouvera grâce aux yeux des jazzologues. On sent très bien que ça se redétend… C’est aussi retour au « mainstream ». Cool est un appel inavoué à plus de retenue. Une ouverture sur l’Europe aussi et la et la profession d’un espoir en un monde plus «métis ! » Là ou le Be-bop disait un individualisme radical, le Cool veut rassembler et faire école. Plus calibré et plus mesuré, le jazz perd tout de l’urgence et du spontané du Bop. L’esthétisation de la musique qui est aussi son embrigadement l’élève à un classicisme et à la reconnaissance. Bourgeois et de formation musicale académique, avant son allégeance à la rue et à Bop, Miles avait les prédispositions pour sa version de révolution. Mais on reprochera au Cool de sonner « blanc », sans vibrato, de nier la négativité et d’avoir évacué la charge humaine du jazz. Pire, les musiciens noirs sont semble-t-il, très vite exclus de cette nouvelle « grande » musique… Sur le tard, Miles Davis qui est finalement le seul Noir à avoir eu une vrai existence, au sein du Cool, reniera le genre. Il faudra attendre le Civil Rights Movement des années 60 pour assister à une résurgence de l’esprit bop qui construira le pont vers la forme contemporaine de parole engagée : le hiphop.
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.Années 60–70/ ‘Hard’ et ‘Free’, renouveau du Bop
Si le Cool a porté le jazz à un niveau de mondialité respectable, il l’a aussi coupé de son essence Blues, l’expérience noire qui l’enrichie. Refusant de sacrifier à la donne « Cool », quelques anciens disciples de Bird et Diz comme Max Roach, apôtres irréductibles du Bop, en entretenaient dans une nouvelle clandestinité (le Bop vivait de nouveau une censure rédemptrice) l’esprit et rêvaient au jour où de nouveau la fureur d’imposition seule serait reine. La saison des émeutes, la lutte pour les droits civiques et le mouvement « Black Power », décidément véritable triangle magique et source vivifiante de toutes les formes d’expressions afro-américaines modernes, va les nourrir. Les jazzmen sont les premiers à s’engager dans les luttes d’affirmation et vont réaliser un revival du Bop.qui prendra deux formes : Le Hard- Bop et le Free- Jazz. Moins exubérants, mais plus radicaux musicalement que le Bop, plus théorisés aussi et inscrits dans un projet politique, ces nouvelles tendances revendiquent un franc retour à la négrité. Les formations collaborent avec et intègrent des musiciens africains du pur cru. Mais rendant ainsi l’Afrique au Jazz, on rendait aussi le Jazz à l’Afrique (Fela Hildegart Ransome deviendra Fela Anikulapo Kuti, au contact des Free-jazz men et de Panthers). Depuis le violent ‘We Insist, Freedom Now’ de Roach, jusqu’aux délires égypto-électro-cosmiques de Sun Ra, le Free jazz « secoue les chaînes du corps noir.» en renouant avec la « cruauté » Bop.
Roach, Mingus, Shepp, Coleman…, Lincoln (il faudra écrire la part féminine de cette épopée) et tous les autres combattront la « spécialisation » du jazz, pour le restituer à la rue, et feront répondre le « jazz de l’insoumission » à celui de la consommation, de la compromission et de l’establishment. Le bout en bout, la mouvement Bop, fut intellectuel, abstrait. Coupé de la danse, le Be-Bop ne pouvait prétendre à la popularité qu’exige toute grande révolution. Cela le condamnait à un certain élitisme. Le projet « Free » va préparer la naissance du Hip Hop qui va sceller la réconciliation avec la danse.
On retiendra que l’avant-garde Bop a participé à son époque, à faire exploser les carcans idéologiques, impérialistes et consuméristes et inséminé dans la jeunesse un sens du vivre libre. En ce sens, et comme le dit si bien Cornel West, Le bebop fidèle à « l’expérience Blues » et de loin sa fille aînée, est « une grande contribution démocratique des noirs à l’histoire mondiale.»
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(Texte de Jeunesse; première publication : Ananzie, 2006)