Antigone

Sénamé Koffi A.
25 min readJun 5, 2020

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Le 27 oct 2005 deux enfants meurent électrocutés sur le site EDF où ils s’étaient réfugiés cherchant à échapper à un contrôle de Police. Le soir même les banlieues françaises s’embrasent. Cela va durer trois semaines ! Au fort des émeutes, Nicolas Sarkozy (Créon?) décrète l’état d’urgence et un couvre- feu général. A quoi les cités, régulièrement stigmatisées par le Ministre de l’Intérieur répondent par plus de feu encore !

2005. in Girations et autres chantiers poétiques

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“ ANTIGONE : Ô chère tête fraternelle d’Ismène, sais-tu quels sont les maux venus d’œdipe que Zeus ne nous inflige pas, à nous qui vivons encore ? En effet, il n’est rien de cruel, d’amer, de honteux et d’ignominieux que je n’aie vu parmi tes maux et les miens. Et, maintenant, quel est cet édit récent que le maître de la Ville a imposé à tous les citoyens ? Le connais-tu ? L’as-tu entendu ? Ou les maux te sont-ils cachés qu’on médite contre nos amis et qu’on a coutume de souffrir de la part d’un ennemi ? — ISMÈNE : Aucune nouvelle de nos amis, Antigone, n’est venue à moi, joyeuse ou triste, depuis que nous avons été privées de nos deux frères, morts en un seul jour

Sophocle

(pour Bouna et Zyed)

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< Dans le noir, 2 noirs !>

I

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ASSATA

Trait néfaste.., amère régalade, vile salive !

En nos cœurs innocents planté, traître glaive

Le brusque trépas de la paire chère…

Est–il delà de cette peine-là mon frère ?

Quelque sort d’âme plus scindée de sacré ?

YACOUBA

Lors qu’informait le sort, ces violents décrets et qu’il nous versait entière la coupe d’ignominie… D’un complot sur nos noms, ici même : l’infamie !

Du perfide Créon, le poison sur la langue crûment, portait aux confins son retentissement ! Honteuse beuverie pour tumulte en relai d’insanité…

Puis, au crucial atteint, ce haro ! Des humanités comme levées, Échos en clameurs, éclatées confuses, qui de tous coins en la cité, maintenant fusent.

Entends-tu ? La veillée que c’est pour nos élus : les deux en-allés…

Nos élans nus, nos non de feu aux flancs de ce pays : ribambelles d’étoiles et tourbillons de braises, valse endiablée d’astres à éponger le mépris en la face jeté. Enfin assumée, de la race le soubresaut qu’on eût dit ! Oh, que je n’exulte si je puis ! Puisse-t-il être plus pure résonance de l’insulte ?

Non assurément. Et pour notre peine, hélas, pas de delà. Car on sait bien n’être, le spectacle formidable que je te peins-là, que l’orgueilleuse frêle étincelle au creuset où agonise l’or…

ASSATA

Quel nouveau sort sous les cieux dirige alors, qu’à l’écart, en ce ventre inquiétant où le noir déploie, tu m’entraînas ? Assata, à quoi est requis — obscur concile, pressant cérémonial- ce cœur qui, je le sentis en moi tantôt, commença de redouter cette heure ?

Ne m’en dis pas moins, maintenant, que tout ne m’apparaisse clairement. (Or intimant cela même, j’appréhende encore ; et il me faut me l’avouer ; je réclame transi, du sort, qu’il n’y ait là rien qu’il faillât porter au compte de la haine.)

YACOUBA

…Le noir au cœur

J’ai vu, Assata, faite reine, la bêtise. Sur la place publique, couronnée ; cauchemar ricanant ! Oh oui, Je l’ai vu l’indécente, égrenant : — horrible Égérie ! — des myriades de fruits étranges, sous les flocons durs de chair ; moisson du sang des anges !

J’ai vu Assata ainsi la blanche pourriture larve la gueule du fol animal, l’innommable en bave à la barbe d’un roi… Et je nous ai vus alors sans le toit à nouveau. Hors de tout : l’abri du droit ; de celui de la compassion lors même qu’elle abonde et qu’elle commande désormais à tout ; de la marche raisonnée du monde encore.

Nous l’avons tous vu la fin de la mystification enfin. Sans masque désormais, le verbe sagittal en action. L’appel à l’écrasement des nôtres et le blanc col privilège du seul sang azuréen toujours.

(Quand L’école…)

Ah, mais non, rien Assata, que tu ne saches déjà ; le noir de l’âme seulement. Et notre colère dite de plus de flammes que n’hébergent en leurs entrailles, ensemble l’Olympe et l’Ossa.

ASSATA

Cependant tu singes Sisyphe et reprends toujours où tu commenças ! (Absurde, ah ! Le vain manège. La sombre absence, sous le fier ! Alarmes bien mal déguisés… Et c’est déjà depuis hier, que m’apparaissait ce trouble… L’épine ! Qu’un frere seul, d’un autre devine ; que du sang le sang le même, d’instinct prestement sait…Voici que je m’apparais, tremblant, ainsi que je le hais !)

Allons, débobine… Dis quel est ton tourment ! Quel énigmatique dessein t’a prescrit ce moment ? A quoi est vouée cette réunion loin des fenêtres ? Ne diffère plus de m’en tout faire connaître et guéris-toi ainsi du mal de ne rien confesser. Parle !

YACOUBA

Tu l’as dit toi-même… tantôt ; ce hâle !

D’avoir — oh, ignorance, où vite s’invite, sournoise, la violence- pris peur devant les hommes de Créon, désormais à notre tendre affection, enlevée…- Crime ! Ô cruelle !-

Enlevée : la paire !

Ils pensaient ces joyeux enfants esquiver le pire. Le courroux de Jupiter ils ont encouru cherchant à afficher la vanité des distances courues… De la terre et du ciel, sourde, la brisure qui fait l’union. Aux éclats d’or, l’usure formidable qui, en un seul temps, emporta, à deux, trente printemps !

ASSATA

C’est là, exercice impitoyable, contant le foudroie…, où tu sollicites mon endroit. Tout entier, il vibre et soupire à l’évocation de ces douloureux souvenirs…

Violente fut leur mort ; du dard de feu d’un dieu cruel, la vie hélée.

En ton esprit, toi-même, rappelle le drame. Quelle absurdité ; devant la raison qui dût de tous, les protéger, nos frères prirent peur. La bêtise aux trousses, point de mesure ! Guettant au détour, le funeste, les bras ouverts ! Les nôtres courent et s’y jettent. Le doublon fraternel condamné d’un sang. Ah, Labdacides ; le poids d’une infortune tenace, à nous, liée. Acide, lie d’un sombre calice. Inéluctable acharnement des cieux Hélas, hélas !- dirigé en un ultime épisode sur nos précieux. Hélas ! Un triste sort,- hallali terrible !- pour leur malheur, mène les plus jeunes des nôtres à se méconnaître eux-mêmes. Ainsi le maintien frêle, échoués en un rivage inhospitalier, ils rodent aux contours de l’obscur puits à nous familier ; aveuglement, ils y sautent, précipités d’une cuisante dépossession, fille de ce système à l’éducation absente…

YACOUBA

Tu y viens toi-même… -mais c’est oracle !- à l’arnaque !

Il n’est d’arrachement que le savoir manque de restituer ; nulle échine qu’il échoue à redresser ; pas une seule écaille dont il rechigne à débarrasser la vue. Le savoir, point de résistance qu’il ne brise !

Quel affront dont du dos seul, sa main, telle la brise muette, n’enlève au visage serein, la trace ?

Mais l’école, n’est ce pas dans toute la connaissance qu’elle devrait les mouler, vidant les mots dont on nous paye ?…L’école donc, de la tendre bienveillance qui éveille aux Beautés, tel un soleil, elle devait les entourer. Des joyaux de la seule Vérité elle aurait du les parer ; présents à l’heure… Et leurs reins, ceindre. Entiers, donc droits… Mais c’est vide qu’ils sont, à craindre le moindre souffle. Friable est leur foi. Sans le référent et sans le repère ; n’est ce pas en vain qu’ils courent traînant après eux le pire.

ASSATA

De la frayeur irraisonnée, pour sûr, elle eût dû les garder. Mais ce coup nouveau, n’en faut-il d’abord blâmer les dés ? Ultime moisson en ce champ néfaste où nous portons la hotte.

YACOUBA

…Courbés qu’ils vont ! Et quand, bêtise en bottes, le mépris, au passage, s’invite — lancinant rendez vous — : le regard qui tronque, la langue qui écorche, le « vous » qu’on attend toujours, le contact qui glace… Contre le mur !

Mille doigts… la palpation où on vous claquemure… ! Doigts dans nos cous, doigts dans nos cheveux ! Oh, glacés. Glacés ! Seul, fuir, fuir… Toujours seul, plus encore… Assez ! Devant les autres… Ah, disparaître… Dans nos poches ! En nos côtes… ; et aux creux de nos bras ! Le reproche ! Des doigts dans nos chaussures… Et encore et toujours. Étouffement ! Asphyxie, aphasie… J’entends : — Le four !- jusqu’à quand ? Suffoque, suffoque… pourquoi qu’eux ?

« Nous — n’en- sommes — pas ! » « Nous — ne — sommes — que ! » « Nous — aussi !… » Si seul ! De l’air, de l’air, Quatorze seulement… Assez, assez ! Vite, vite, là bas, l’école ! Le rose. Du rond, du beau, du gros, du long, la couleur, la gomme, la colle… Beaucoup ! Vite, vite ; du plein, du chaud !

ASSATA

Vide l’école !

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II

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YACOUBA

Et ils continueront d’aller les plus jeunes, comme aimantés, inexorables pantins…; et qui s’émeut encore, hors Yacouba, qu’au trépas pour sûr, ils vont, si rien, n’arrive à ces oreilles ?

L’école, c’est en tout, qu’elle devrait, aux autres, nous rendre pareils ! Ils continueront… car enfin, c’est en eux- mêmes, exilés qu’ils errent, incapables de dire qu’ils aiment.

ASSATA

À gauche ! Ah détourne, destin implacable, cet empire !

…De fait elle devait ! Et de la présente dérive nous prémunir, telle la mère bienveillante ; elle aurait dû… et elle eût peut-être, si elle ne se fût, de nous autres, éloignée, voilà longtemps. Morte… Mais enfin quelle importance ? Hélas, cela ne compte plus désormais. Ils sont partis.

Hélas !

YACOUBA

(Elle eût ! Elle a failli… Qui prétend qu’il m’en faille plus ?)

Le vis-tu…, toi aussi, comme je le vis, Assata, le vide ?

ASSATA

(Pentu !) Dieux, mais… tu es pâle mon frère ! Pourquoi es-tu pâle ?

YACOUBA

Je suis né pâle ! Dessus le vide abyssal ; enfanté debout, parmi la transparente odeur.

Le vis-tu ?

ASSATA

Oh, tu fais cruel commerce de nos sœurs douleurs.

YACOUBA

…Et maintenant la défense de Créon ! N’as tu pas, alors anéanti, été toi aussi comme je l’ai été, de la défense de Créon, avertie ?

ASSATA

Comment en aurait- il pu être autre ? Cela fut dit aux jeunes heures du soir. Par le crieur, l’édit en chaque lieu, en neuf tours, neuf fois, proclamé pour qu’en aucune place, nul en la cité, ne le pût ignorer.

YACOUBA

C’est cela même ! Après qu’au lendemain du départ de nos aimés, alors même que de ces charmantes âmes à une part de l’élyséen banquet convoquées, le voyage vers l’Hadès ne se fut encore achevé ; il ait du verbe tombé la laisse et en des mots indignes de bouche royale, supputé, blême, de nos personnes la petitesse ; ensemençant par là même ces terres du brûlant d’une révolte où se lassa la montre, ne le voici-t-il pas maintenant qui défend qu’à la rencontre de la nuit nous n’allions ?

ASSATA

Et on dit qu’il y met le plus grand souci… Et à ce que personne jamais, son terrible arrêt ne transgressât, les pires mesures.

YACOUBA

Relégués chez nous… — Une absurde pour sûr !- sans possibilité, le cœur à nu, de célébrer haut ceux qui ne sont plus ! Rentrer nos larmes ? Ô absurdité, n’est ce pas de l’insensé qu’au milieu de la libération langagière, à nous voir danser seulement de l’air même qu’on mit en nos cœurs, on ne voulut supporter le fait ? Avoue-le ma sœur ; Avoue donc Assata, qu’il y a là de nouveau à mal !

ASSATA

Mais qui pouvons nous ? C’est un édit royal !

Et puis nos frères sont partis !

YACOUBA

L’insane, vainement, en moi, cherche ancre. Cet édit, un défi assurément !

ASSATA

Si ce pays, tel Cronos, de ces fils mêmes, fait festin, il n’en faut point trop aux mortels faire débat. Le destin égalise souverainement et il n’est pas insuffisant de trois temps, trois Moires pour tout régir et commander justement les gracieuses accompagnatrices que nous nommons les Heures.

Pour moi, je le sais, l’Olympe tient en horreur le vil que vêt la toge, la puissance sourde qui n’écrase pas qu’à propos… ; et le sort de Capanée attend le fourbe casqué, le glaive pressé et la langue orgueilleuse. Une pluie de sorts funestes, soudain, s’abat furieuse sur l’ardent brasier de la blessante jactance. Toujours Phobos halète, après les intrigues ; sa lance est l’instrument du chaos parmi le meurtre qui une innocente engeance a ciblée. Les Enfers enfin, promptement, délèguent les Vengeances ; châtieuses enivrées de milles terribles tourments à Troie éprouvés. Elles n’ont aucune pitié jamais pour leur proie.

Des dieux, il n’est pour l’outragé, mon frère, que le joug de la patience qui fermement espère.

YACOUBA

C’est qu’aux trousses du Prince, -étrange vacance !- point de vierges vengeresses je ne vois… Inintéressées à nos malheurs, les furies ! Aux fouets muets, les sombres Erinyes ; ces insatiables, comme on dit, torches éteintes…Assourdissant autisme à de légitimes plaintes ! Je ne vois pas, mon sang, que le fruit d’à l’endroit du sillon par Zeus labouré, ait urgence à nous rendre le droit.

Aussi, c’est sans frémir, te dis- je, qu’il peut, Créon, continuer de gesticuler et de son inique crayon, adresser l’injuste, assuré qu’aucune céleste gomme ne viendra si tôt corriger le mépris de l’homme dont se rend coupable cette détestable mine.

A la vérité, et je t’engage de n’en point douter, Assata, cela ne regarde pas l’Olympe seul.

ASSATA

Qu’il est étrange, l’inextricable nœud du destin qui fait l’ange regimber au Chœur… qui amène l’enfant, outre-mesure fier, à questionner le trône… et des nues chercher de se faire la voix, s’élisant de Thémis, suppléant ! D’un cœur jeune encor, douloureux, l’élan qui suspend le cours de l’innocence vagabonde ! Oh, comme elle me semble, de si loin, venir, l’onde qui, à l’instant, me traversa… inquiétante féerie de la méconnaissable voix du frère que je chéris.

YACOUBA

Il va à la mort.

ASSATA

Ah ! Range vite cette arrogance- là ! Aies garde de ne point hâter, te voulant mêler de la Moïra, de nouveaux maux sur la maison des Cadméiones. N’hésite plus à t’ouvrir à moi et un peu raisonne avec ton sang. Ma part seule du mystère, je réclame maintenant ! N’est ce pas pour cela, cher frère, que tu m’as convoqué ? Pour seuls témoins les yeux ouverts des tours qui, le noir manteau de ce soir d’hiver, trouent… Un soir d’hiver de plus… large linceul sur nos misérables existences. Allons ! Allons donc ! Cette incertitude est une coupe bien amère.

YACOUBA

Tu l’as dis toi même…

ASSATA

Quoi donc ?

YACOUBA

Notre mère…

ASSATA

De laquelle parles-tu en ce moment ? Car il est vrai que nous autres en avons plusieurs. Sans apprêts ni alarmes, dans la vie du père, plus d’une fois, les “ you-you “ auront retenti : terrible Mère l’Effroi de se trouver jeté hors…, c’est notre Mère Misère. Voici votre Mère la Faim ! Mère l’Humiliation. Et notre jadis Fière Mère…

Redondance de l’hyménée, la tourmente agitée, par le centre, d’une jamais lasse lubricité…

Alors, de mère…, laquelle ?

YACOUBA

L’Ecole, Assata… L’école !

ASSATA

(…) Celle-là n’est plus. Un fantôme hante ces murs.

YACOUBA

Justement.

ASSATA

Une torture pour sûr ! Est- ce donc là, tout ce à quoi j’aurai droit ? Tu as donc décidé de me quérir à l’endroit-ci, pour de ma détresse te jouer ? Que sur l’heure, elle ne s’en aille si de tes transports ta sœur n’avait l’intime conviction de la gravité.

Parleras-tu à la fin ?

YACOUBA

Ils ont goûtés, consumés nos deux frères, aux honneurs dus aux morts. Au repos ces doux petits cœurs ! La part de la cendre détachée par le feu… Nous pouvons le dire : la paix pour eux…

Mais leur mère…

ASSATA

Quoi ?

YACOUBA

« Un fantôme… hantes ces murs… »

ASSATA

…Quand j’attendais le baume !

(Mais plutôt comme pour exhaler ce que nous redoutâmes !… Et quelle froide étreinte déjà en ma pauvre âme, de ce que seulement m’en renseigne le pressenti !)

Quel projet en ces tristes heures est venu, ton esprit, traître, subreptice telle une vipère, habiter ?

Ah, leur sang n’a pas encore séché, Assata !

YACOUBA

Elle a échoué !

ASSATA

M’en diras-tu assez que tout se puisse embrasser ; de ce que de tes errements enfin un visage juste m’apparaisse (quelquechose qui l’obscur présage vienne infirmer ?)

YACOUBA

Ne l’as tu pas dis toi même ? Elle est morte !

ASSATA

Mais encore, sombre soeur, mais encore ? À la porte, on n’a pas vu mourir de notre surdité, l’assoiffé suppliant.

YACOUBA

L’école est morte !

ASSATA

Assez maintenant ! L’arbre ne tient plus que par l’écorce. Ma patience, de ses dernières forces, vient de consumer la substance à livrer ainsi mon être à la plus folle des danses, tu froisseras la douce soie de la couverture fraternelle. Désormais ma curiosité exhale de senteurs, celles de la peur. Ah, l’épreuve ! Assata, tu ne saurais guère plus longtemps m’astreindre à ce régime sévère.

YACOUBA

Notre mère est morte Assata. Et voici qu’auprès tout à l’heure d’un corps sans vie, je m’en vais rendre… Les derniers honneurs !

ASSATA

Quoi, tu veux braver l’édit ?

YACOUBA

Oh, et comment ! Ce n’est pas tout là ; je ne t’en ai pas dit l’urgence encore. D’une haute obligation, le respect aux morts ! C’est d’un impérieux devoir dont il s’agit envers qui dort.

Et je te veux convier, de cette célébration, à avoir ton entière part. Pour que de la vie, cette décision, qui nous a quitté nous nous tenions quittes. C’est là l’enjeu !

ASSATA

Comment ?

YACOUBA

Le feu, sœur… le feu!

.

.

III

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ASSATA

Par les Champs Fertiles ! Qu’est ce donc que cette folie nouvelle?

YACOUBA

(Puisque de la coupe d’ignominie voilà la lie atteinte…) Juste au devoir de célébrer qui n’est plus. Je te le dois donc rappeler ! La piété, rien de plus. Cette prescription qui au temps n’est point sujette ; le rite impérieux, c’est là tout ce que je projette :

Ce qui le trépas connut, qu’à ignition sans soit passé, pour que point de souillure il ne demeure sur la cité ; ni la terre qui porte, ni le vent qui enlace, ni la lumière qui chaudement carresse, ni la vague qui embrasse… Et que vogue sans freins, l’âme sur une sente toute de frêle fumée, libre, puisqu’à la cendre réduite, la part mortelle : le corps, cette cage. Pour la vie pleine ! Pour un jour sans entache, Pour le renouveau enfin. Pour ceux qui restent, point de tourments. Foin des noires pestes, d’effroyables lèpres… Rien en somme que l’Oracle, damnation nomme.

A la piété donc ; c’est la raison sans âge qui auprès du trône des dieux siège, c’est le diadème d’uraeus au front de Maât présidant la solennelle pesée de la date dernière et son poids de plume qui nous la réclament. Aux mains du Prince divin, douce et chère Imana, le régalia triple que conclut ‘Stabilité’ commande… au péril s’il le faut, la piété !

ASSATA

O Grand Noir, vous qui en l’Ilalou, sur la mort, dominez, menant la troupe des Occidentaux ; de ce bord par vous apaisé, d’un doux ciseau, élaguez mes alarmes !

Voyez le prix auquel on estime nos larmes… Et raisonnez donc au cœur, ce fils qui d’un hideux sort à ses pas attaché, se veut faire complice.

YACOUBA

A piété ! Afin qu’oint entier en l’Hadès, ayant franchi l’Erèbe et passé Styx, il paraisse, précieux chargement du bac à Charon ; qu’on honore d’une l’ultime toilette d’huile, de feu, le mort. Point d’errance sans fin aux noires berges du Tartare. Qu’on apprête les onguents, les fleurs et qu’on prépare le bûcher, le vin de palme, le natron. Que pleureuses se munissent d’oignon. Par tous moyens, qu’on oeuvre à ailer ce Ka. C’est ainsi qu’il en alla, et cela afin seulement qu’il renaisse…, d’Ousir même, pour qui la paire de divines hôtesses, Nephtys et Isis, les milans, ses sœurs sondèrent toutes eaux à l’écho de leur beau cœur.

On ne connut plus dévouement semblable ! Prévenantes et bonnes, jamais, devant la difficulté, elles n’abandonnent ! Bravant l’ire du roi à tête de chacal, Seth, qui inlassablement sur la primordiale alternance, veille et livre à Apophis le perpétuel combat; partout comme un fils en une quête sans le repos, elles le demandèrent. Et l’ayant, au bout d’une héroïque ère, à Byblos retrouvé, celles dont jamais ne tarit l’amour, les charmantes, l’extirpèrent du tamari. Au palais du seigneur de ce lieu, de la colonne, ce leurre, abattue, l’ayant libéré, les exemplaires sœurs recueillirent le corps qui périclitait déjà promptement l’embaumèrent. On rassembla d’abord le démembré puis le lava, pour le rendre pur et digne du voyage au travers le double azur ; pour qu’il puisse être recraché de l’aimante Nout, la mère qui l’avale et le réenfante. Ainsi peut le cycle être continu et continué, le jour toujours s’en revenir… et… la fécondité, l’équilibre, être garantis… le trône en fonction être remis…

ASSATA

Mais, en tout cela, nos frères…

YACOUBA

Ce n’est plus d’eux qu’il s’agit. La mère!

ASSATA

Et la défense de Créon…

YACOUBA

Elle est injuste. Qui commande la larme ? Qui de droites pistes ; lui fait prendre ? Aux muscles, interdit-on le frisson ? Comme coule le sang, je te le dis, Créon ; comme jaillit le feu dessous terre et va la lave, ainsi l’honneur !… De l’absurde, parmi les braves, nul ne se tient quitte… ; ou alors à trahir ! Aussi le juste conclamare rien ne peut couvrir !

ASSATA

La nuit…

YACOUBA

Elle aussi est de notre couleur ! Elle aura de la veille sa part !

ASSATA

C’est une nuit de douleurs…

YACOUBA

Je ne tremble point ! Aux affaires de la race, voyons ! De notre race ! Ce n’est pas notre invention.

ASSATA

Mais l’école !

YACOUBA

De flammes, je m’en vais l’habiller ! De flammes et rouges et vertes… violettes et orangées. O mais belle elle sera, quand aux vœux d’Hadès ; elle se présentera. Noces funestes ! Du sang, j’adresse…

Du cœur !… De mon intrépidité, j’honore l’école qui est morte.

ASSATA

Lugubre appel du cor. Le sang m’en tombe dru en jambes à ouïr cela ! Vide, je suis vide ! Ah, le furieux délire… L’épanchement macabre ! Quel bouleversement la disparition de nos biens aimés, sournoisement, a -t-elle introduite en vous ? L’absence, quel démon, a-t-elle donc éveillée? De quel cruel dieu, ma soeur— ô Irrésistible attrait- en ce moment êtes vous le jouet ? Une mystérieuse mélodie bacchante emporte-t-elle Assata ? Vite, d’une Thyade l’élucidation ; car voici, à l’horizon, lancinant, ah Labdacide, une nouvelle rançon !

YACOUBA

Et à quel la trahison rendez-vous, vous, en ce moment même? Que de questions ! Que d’hésitations face au sang…, au cri !

Aurais-tu à la démission, décidé de tout sacrifier ?

ASSATA

Sang, sang ! Ton être n’écoute que sang ! Altier en ses bourrasques, bouillant, tempêtant ;… et sourd aux bottes ! Mauvais conseiller. Pour sûr viendra la chute.

YACOUBA

Que ne me comprends tu pas ? La bêtise est nue, Imane. Aussi de mes miettes de l’aimer, du lien ténu d’humanité restant, de mon nom d’homme, ma lie d’envie et la volonté en partance, ai- je décidé sur ses parvis, de sacrifier à la piété, aux lois inspirées siennes; dont les seules obscures forces de sousterre sont gardiennes.

Ma foi vive. Dépouillé enfin du paralysant espoir. A la piété ! Ma folie de sang rouge. De sang rouge noir.

Je jetterai deux pièces dans les flammes, pour le Passeur !

ASSATA

Ah. Tu n’es plus une âme mais la noire marre où divorcées d’entre elles, toutes choses vont boire au chaos…

Et tu vas hagard, tel qu’on croit voir, certains soir, d’un cloaque l’autre, paire vive-écorchée, aller le spectre et l’hyène… Incapable d’étancher ta soif rebelle ; ignorant de cette faim de caresse qui dévore le cœur ; mu d’un élan funeste, avec l’écueil et la pique tu veux danser. Nu ! Et tu lances furieux ; insoucieux qu’il t‘en cuise… en l’axe…, tête avant ! Aveuglé d’un dieu, tu t’en vas frapper à l’Ajax, malheureux ! Et, exactement pareil du déplorable fils de Telamon, te lier à un effroyable hybris nourricier d’hyacinthes pourpres… C’est l’effet certes de chimères déléguées…

Déjà tu envisages l’holocauste en pair ! Et nous serions Nisus et Euryale aux grandes portes, projetant de briser quelque siège traître. C’est ainsi que tu nous vois, n’est ce pas ?

Intrépides !

Oublieux que ces deux vaillants amis, d’une horrible vengeance, à leur tour, furent soufflés. Ah, fatum promis à l’insensé qui de prudence fait l’économie !

Qu’il te souvienne, fougueux, les vers de Virgile ; et qu’avant de courir au camp des Rutules, on questionna d’abord :

« …Ô moitié de mon âme

Est-ce un dieu qui m’inspire, est-ce un dieu qui m’enflamme

Ou suivant de nos cœurs l’instinct périlleux

Prenons nous nos transports pour un habit des dieux ? »

(C’est l’effet certes de chimères déléguées…) Qui, pour brouiller l’entendement, leur sournois aguets, maintiennent… Esbroufeuses !

On conspire autour. Les choses sont pour qu’au premier loup tu coures. Ah, ce qu’on te réserve ; toi qui de douleur est abusé !

Et c’est l’effet certes de chimères déléguées… qui maniant l’illusion t’aiguillonnent plus avant, toujours plus avant, jusqu’au gouffre noir, menaçant…, à la gueule ouverte des tourbillons… Or elles tressent inlassablement en leurs terribles apprêts. Et on n’aura cesse que, toi aussi, comme les deux, tu tombasses…, attaché à leurs traces, abîmant ton jeune âge.

Étudie mes alarmes. Vois où tu t’engages… quand dans le secret, s’élabore un funeste complot soustrait aux vues de ta raison, du rideau d’utopies complaisamment tiré par toi-même ! Complice toi-même de cette conjuration. Blême -C’est l’effet certes…-, tu t’associes sans lever le cil, manipulé d’invisibles fils, à un crime vil … ; perdu en ce brouillard blanc ouvragé des pâles mains des implacables filles de la Mort.

Et tu ne t’en veux rien épargner… Rien ! Enfin, ce sont elles, qui, imitant les sirènes, en ta poitrine, en ce moment, attisent la haine. Te voilà piètre astre au centre de tout qui tourne… Tu seras emporté.

Ou tu monteras… Sur ce qui t’enfourne, gagnant…, réglant, devenu toi plus fort que tout : ce qu’il advint, ce qui bride, ce qui est dit de nous, plus fort que le tourbillon de crachat… ; réglant… des cycles nouveaux, pour les tiens, plus cléments ! Dominant tout…

Je parle espérant que tu t’accroches à cette voix inquiète que je te jette ainsi qu’une corde… car je t’espère détourner des chemins sans le retour, éloigner des sombres rivages et des cercles de vautours.

Ecoute donc la tremblante sœur, le soutien tien, à toi tout entière dévouée, et comprend bien que rien, rien chéri, de ce que tu crois n’est vraiment ! Rien… Rien de tout…

YACOUBA

Alors à mes moulins ! J’ai choisi.

Debout. Sept fois à terre, je me mettrai debout… Que de suite m’abatte la ruade !

Je ne crains, si à la gadoue, je vais, que d’y salir la mémoire.

.

.

IV

.

ASSATA

Je crains moi le courroux.

À l’inéluctable tranchant de Némésis tu offres notre cou. Doux frère, ce qui me coule d’eau à la nuque, c’est le bourreau… c’est lui qui y bave… Et il me dégouline aussi, en l’esprit, telles d’interminables robes noires… Et d’ineffables cris y jaillissent… Et les marteaux sanctionnent pour fournir en quelque place la roue de râles déchirants, de soupirs…; ah, gibets dressés ; dressés là, roides, sous le regard froid des rois…; en autant de dents à la mâchoire des rois !

Nous risquons…

YACOUBA

Les dieux ont fixé.

ASSATA

Mais la Polis aussi a sa loi, Konaté !… Elle régente les vivants. Nous en sommes ; pour fort que nous nous prévalions d’une grâce haute ! Elle donne, par le calcul et le nombre, le grade de sage, aux princes dont Créon est. Il a passé au suffrage. Il y a acquis d’interdire. Créon est solidement établi. Assis sur une urne approvisionnée en quantité ! Aussi, allégua-t-il. Et un droit, humain certes, sur nous, tantôt lui fut remis… Il l’a à garantir contre tout ; et s’il le faut,…

YACOUBA

(Les rois mêmes donc, de quelque chose, sont esclaves, quand moi être libre vraiment maintenant j’ose !)

ASSATA

…Par de sévères édits, entretenir le prestige de cet ordre auquel nous nous sommes aliénés.

YACOUBA

Injuste te dis-je ! Je n’en connais plus l’empire, moi !

Je passe et… si je passe, c’est pour qu’après moi… Révolution ne fût plus, selon la règle, un gros mot en la bouche des nôtres… d’un siècle indécemment vantard de toutes ses audaces, la dernière tentation au goût d’impie ! C’est un pacte nouveau.

Retiens : je m’affranchis !

…Cesse de te forcer de trouver du bon à l’ivraie et inutilement te mettre longtemps en frais de trop belle vaine rhétorique à exempter ces vils préceptes ! Je m’affranchis !

ASSATA

Alors tu mourras.

YACOUBA

Je l’accepte !

ASSATA

(…)

Et tu te viens de trahir et révéler enfin le furieux attentat projeté au travers cette fronde désespérée de l’Etat…Et tu prétendais ne rendre qu’aux jeux funéraires !

Or c’est seulement la prétentieuse recherche, en l’aveugle colère, d’un sordide mouvement grand, vague dessein à quoi toute mesure cède.

C’est donc bien un geste !…

Or d’acier, ton âme trop raide, par la douleur déformée, a mêlé à la vacuité ; et te voilà par toi-même drainé inexorablement vers ton trépas propre, prétendant circonscrire par quelque audacieux coup, la loi. Et rompre un étau d’airain sur ces frêles genoux !… Quelle inconscience ;… basculer un couvre-feu !

Or donc tu veux, toi, ajouter le feu au feu !

Rappelant en toi le sens, éprouve un peu…

YACOUBA

Ah! Il ne devrait plus importer à tous deux désormais, lors que partout tout autour nous nie l’humanité, d’aller libre au grand jour. Imane, ma sœur, Konaté n’est pas lui né pour souffrir l’à-nu d’un mystère, et un seul vodùn diffamé. Aussi il n’accorde rien au nom entaché…

ASSATA

Souffriras-tu mieux ton nom effacé ?

YACOUBA

…Pour donner exemple mémorable du tempérament.

ASSATA

Malheureux, une fois unique, à l’échafaud seulement, tu seras évoqué ; sur quelque anonyme autel, à l’oubli, immolé. Et aucun déni n’est joug, sache-le, au prix de lui. Rien n’assure le diffamant comme, dans l’éternel repos, le mutisme.

YACOUBA

Que mouille donc le feu et que brûle l’eau !

Du moins, du grand peuple trépassé des miens, en l’au-delà, je serai reconnu pour n’avoir pas biaisé, par la cola en son centre cassée, sur le seuil offerte.

Du moins ne me comptera-t-on pas, s’étendant à perte, au rang livide des neutres dont la foule, amère et geignante, bouche le vestibule des Enfers.

Ensevelis en une pâleur sans le fond, tantôt scandée d’énigmatiques furieux soubresauts, ils sont de quelque terrible hoquet pris, ces quêteurs ; et y recrachent tout de la nauséabonde tiédeur, tourmentés de bêtes rampantes et volantes vues d’eux seuls. Il y a là pareillement drainés : des dolentes ruminant des suppliques vagues et des pieux : éternels pliés, dos rond, jamais entendus d’aucun dieu. Chacun son ciel. Des échevelées encore, les décolorés aussi, les pelés et pis du lot la détestable flopée d’eunuques esthétiques qui refusèrent à la beauté d’adjoindre un peu l’esprit … Objets et non sujets, la horde bigarrée des ex-éternels rigolards divorcés de la conscience, entichés du fard, traînant après eux jusque même en cette ultime rade, leur cent et sept masques et mascarades, ainsi un boulet ! Prostrés, trépassés, en une nouvelle façon de torpeur trop rincée qui n’est qu’écho, révélation finale du folklore où noya toute leur vie sans que ne déplore vraiment réellement, une voix, une seule fois, que lumière jamais mêlât au poix… et au miasme, la moindre subreptice brise.

Il y a là, et leurs façons de pleurs emplissent le temps, par trop jadis fouettés dans le cerveau, cause que cet horrible crescendo, tous ceux oublieux du penser dont l’hystérique soif fut d’exoticité étanchée. Et ces ombres confirmées en leur transparence, bande immense aux senteurs de bidasse, réalisent une ultime collective grimace, la moderne morne morve tournée en mélasse ; comme exsudée des bords noirs de l’Achéron.

Pour moi, en raideur de fil à plomb, je fendrai par le milieu cette foule…

ASSATA

C’est vain encore cela.

Observe-toi en la confusion où te voilà, forcé, pour légitimer de fermer aux avertissements, de te payer de gauches arguments ; et ne pas voir qu’en définitif, tu flanches aussi ; pour nobles que t’apparaissent maintenant, les maintes vertueuses boucles à tes transports. Or ces somptueux aiguillons bientôt fatals à l’innocente vie où l’initiation seule manqua, il te suffirait de les connaître par le fond, pour, à la suite de moi, admettre, frère chéri, que le vrai n’est pas ailleurs. Qu’en effet dans la transmission fut le meilleur … ; où la fleur de l’adansonia était éprouvée, où les pétales : respect, bravoure lui étaient sublimement lissées. Or c’est le vide parlant ainsi qui riche de rien, en veut à tout, et quelque peu en bien, pour paraître être comblé, indistinctement renverse. Quand te veux enchainer mon irréductible tendresse ; tu t’emportes ; et te rends encore moins. Tournant à son aise chaque point, Konaté prétend aussi à son gré interpréter le permis. Aussi, l’impitoyable frère, sourd aux avis, lie à son char les terribles coursiers : Haine et Vengeance ! Cette entreprise où tu es tenté, ce péril auquel tu te veux exposer, l’empressement même à indexer l’impiété et juger de l’amendement, l’aveuglement; tout en témoigne. C’est le vide. Ne répugnant pas au familial génocide.

Oh… mais oui ; malheureusement, le ressort en est connu !… Peut être secrètement, Konaté, espère-t-il être reçu à quelque auguste intemporel cercle de martyrs…!

Ces effluves sont donc pour te subjuguer ? Le pire en ses atours de gloire te rassasie, toi !… les folles visions de ronds en de blancs cénacles et les auréoles hypothétiques ont donc des appas prisés de toi ? Confirmant le seul inéluctable cycle, en ta surdité au droit, c’est toi ; toi-même frère, que tu te vas donner en obole à Charon.

YACOUBA

Et combien donc dois-je accorder à ce que Créon régulièrement arrête, comme je sers la constance des cieux ?

ASSATA

Ah, l’éternelle rengaine qui charge les nues !… Les dieux, encore !

Certains soirs mornes, je questionne si un dieu, quand sera allé tout ce qui donne d’aimer terriblement, me viendra remplir l’âme…

Quel immortel pour me plaindre en mon drame ? Que me restera-t-il quand tu auras versé aussi, à l’urne du nocher, pour prix d’avoir trop harassé la fortune ; tes doigts, en ceux d’Anubis, passés, devenus froids à mon contact, témoignant que tout mon effroi fût comblé ! Me restera t-il quelque larme à répandre ; quand des mains que voici teintes en méandres de son sang, je ramasserai le corps en maints parts écartelé du frère hasardé, quitte enfin quelque part de sordides prescriptions qu’on tient pour hérités des dieux ; ces dieux trop lointains habitants de nos mortels yeux ; …et qui épileptiquement toujours d’eux invoqués peu à propos, paraissent à nos gesticulatoires frivolités si peu intéressés ; pour mouiller tes charmantes boucles ?

Et pour baiser les brunes lèvres scellées désormais d’une bouche par quoi l’âme téméraire enfin étanchée de l’anarchiste chimérique devoir, fut rendue, pauvre double triste, me restera t’il…

YACOUBA

Je dis : que m’importe l’ordre, quand j’obéis…

ASSATA

Et quoi, toujours répondre ?

Ainsi, toujours emporté au furieux souffle, ne s’amender jamais de tourner, tourner, tourner toujours… comme mu, dé fou qui seul décidera du seuil de ma peine, remontant du fond du temps, d’un vieux tourbillon de haine. C’est trop d’orgueil ; trop pour les petits que nous sommes ! Ah, jamais s’est-il trouvé autant de colère parmi les hommes ?

C’est prouvé.

Tu as montré que le cœur, d’entrer en lice avec un pouvoir oppresseur, saoul de sa force, ne te manque point. Cesse. Cesse. Il n’est nullement besoin, à l’extrême bout de ceci, d’aller. Cesse et ne tends plus avant, de jeunesse, le fil fragile. Étouffe enfin en ton sein le trop violent brasier qui y est couvé. Le dessein, ne crois pas qu’au moment qu’il est modéré décline en sa fondamentale virtuosité. L’ardeur pour n’être pas impétueuse, ne perd en aloi. Frère, ô hardi, faisons économie, à la loi implacable de notre sang, d’une ultime immolation…

Pas de gage nouveau à l’indomptable volonté. Oh, cesse ! C’est prouvé ! C’est prouvé.

YACOUBA

Un geste encore… et obtenir de ne blêmir de rien… Assurément, il ne faut se satisfaire point du mi- teint.

ASSATA

Ah cruel ; c’est trop d’un supplice vraiment ! Que de monstruosités ont fleuries en ce noir flanc ! Ah, oui je persiste volontiers, que le vide immense a fait cet ouvrage ; et que les choses sont d’intelligence.

YACOUBA

Geints ne sont plus de saison, même sincères.

Comprends que le projet ici est arrêté.

ASSATA

Ah quel frère !…

YACOUBA

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